Dans certains jeux de rôle, un détail en apparence anodin peut transformer une partie banale en expérience marquante, au point de modifier durablement notre manière d’aborder le genre. C’est particulièrement vrai lorsque la génération procédurale se mêle à notre vie réelle et vient se greffer sur des émotions, des visages ou des noms que l’on connaît déjà. Entre hasard statistique, attachement aux personnages et liberté laissée au joueur, on touche alors à ce qui fait l’essence même du RPG moderne : raconter des histoires uniques à partir d’un cadre commun.
Dans le cas présent, tout est parti d’un simple nom de chat, obtenu au détour d’une nouvelle partie de Mewgenics, qui a fini par redéfinir en profondeur la façon dont j’envisage les jeux de rôle et les personnages que l’on y incarne.
Mewgenics : un RPG roguelite d’élevage de chats sauvages
Mewgenics se présente comme un RPG tactique roguelite où l’on élève des chats, que l’on envoie ensuite affronter les dangers d’un monde hostile dans des combats au tour par tour. À chaque nouvelle run, on compose une petite escouade de félins aux caractéristiques, classes et compétences variées, puis on les fait progresser sur des cartes générées de manière procédurale. Les combats reposent sur le positionnement, l’usage de sorts et d’armes, mais aussi sur les synergies entre les différents membres de l’équipe, qui doivent survivre suffisamment longtemps pour ramener des ressources, de l’équipement et de nouveaux traits génétiques à la maison.
Entre deux expéditions, le joueur retourne dans son foyer, véritable hub où il gère son “cheptel” de chats sauvages. C’est là que Mewgenics dévoile son autre facette : un système d’élevage riche, parfois cruel, où l’on fait se reproduire les animaux pour transmettre. Les chatons héritent de des stats et de certaines particularités de leurs parents, ce qui pousse à réfléchir sur le long terme : quels lignages développer, quelles faiblesses accepter, quelles anomalies transformer en forces… Ce va-et-vient constant entre gestion et exploration fait naître un attachement étonnamment fort pour ces petites créatures pixellisées.

Quand un chat nommé Indee change tout : un hasard à 1 chance sur 1000
C’est dans ce cadre que s’est produit l’événement improbable qui a servi de déclencheur. Un matin in-game, comme souvent, des chats sauvages viennent toquer à la porte pour rejoindre potentiellement mon équipe. Parmi eux, l’un porte un nom très particulier : Indee. Exactement le même pseudo qu’un de mes collègues, orthographe comprise. À ce moment précis, Mewgenics a cessé d’être un simple “jeu d'eugénisme avec des chats” pour devenir une petite machine à fiction personnelle. J’ai immédiatement projeté la personnalité de mon collègue sur ce personnage, commencé à lui inventer un passé, des ambitions et une trajectoire au sein de l’escouade. Suivre son parcours n’était plus seulement amusant : c’était devenu affectivement important.
Ce qui rend cette coïncidence encore plus forte, c’est qu’elle est statistiquement rarissime. En discutant avec les développeurs, j’ai appris qu’il existe grosso modo près de 10 000 noms différents pouvant être attribués aléatoirement aux chats, mais qu’un autre système vient encore complexifier le tirage. Sans dévoiler précisément comment il fonctionne pour préserver la surprise, ils m’ont confirmé texto que j’avais eu environ 1 chance sur 1 000 de voir ce nom apparaître dans ma partie. Sachant cela, chaque décision concernant Indee a pris une valeur symbolique, comme si le jeu avait choisi, parmi des milliers de possibilités, de me tendre une histoire sur mesure.

Comment un simple nom a bouleversé ma manière de jouer aux RPG
À partir de cette expérience, quelque chose s’est débloqué dans ma façon d’aborder les jeux de rôle. Je me suis rendu compte que je n’étais pas obligé de raconter “mon” histoire à travers un avatar générique ou mon profil, mais que je pouvais utiliser les cadres proposés par les RPG pour mettre en scène des personnes réelles : des proches, des collègues, voire des célébrités. Au lieu de me contenter d’un héros anonyme, je peux imaginer que ce guerrier taciturne, ce mage brillant ou ce voleur maladroit représente quelqu’un que je connais et observer comment le système réagit à cette projection. Des histoires à raconter qui changent selon le cadre du jeu joué (Baldur’s Gate 3, Elden Ring, Cyberpunk 2077 ou The Witcher...), avec donc des mécaniques qui prennent une autre dimension quand on se demande : “Et si c’était vraiment lui ou elle à la place de cet aventurier ?”.
Cette prise de conscience a rejailli sur d’autres jeux récents, jusqu’à influencer ma façon de créer des personnages dans Octopath Traveler 0. Là où j’aurais autrefois accepté sans réfléchir l’archétype du héros tel qu’il est posé par le prologue, je me surprends désormais à me demander quelle vie j’ai envie de transposer dans ce cadre précis. Est-ce que je veux suivre la trajectoire classique du protagoniste de légende, ou raconter, à travers les codes du JRPG, l’itinéraire d’une personne très réelle, avec ses forces, ses doutes, ses failles ? Paradoxalement, ce n’est pas tant le choix final qui compte que le fait de se poser la question. Avant Mewgenics, je ne m’autorisais tout simplement pas ce type de projection consciente dans mes parties.

Pourquoi tout le monde devrait essayer Mewgenics
Si Mewgenics mérite que tout le monde s’y intéresse, ce n’est pas seulement parce qu’il propose un système d’élevage et de combats particulièrement généreux, mais parce que son game design encourage activement ce type d’appropriation narrative. Le jeu puise dans des notions très concrètes : spécificités d’élevage de certaines races comme les sphynx, dysmorphie, traumatismes, PTSD... pour en faire des mécaniques, des traits de personnages ou des situations qui renvoient à des réalités humaines. On y voit constamment comment des fragilités, des différences ou des blessures se transforment en lignes de code… puis en outils de récit. C’est un rappel permanent que l’on construit aussi avec ses faiblesses, et que les systèmes des RPG peuvent servir de laboratoire pour explorer ces thèmes sans perdre de vue le plaisir de jeu.


À cela s’ajoute le fait que Mewgenics s’inscrit pleinement dans le genre du roguelite, avec une difficulté présente mais rarement décourageante. Les règles se prennent rapidement en main, les échecs successifs permettent d’améliorer ses lignées de chats, d’affiner ses stratégies et de mieux maîtriser l’écosystème d’objets, de classes et de mutations. Chaque run devient l’occasion de tester une nouvelle “famille” de personnages, de voir quelles histoires émergent et quels drames ou petites victoires viendront s’y greffer. Entre profondeur tactique, héritage d’une génération à l’autre et place laissée à l’imaginaire du joueur, Mewgenics offre un terrain de jeu idéal pour expérimenter une autre manière de vivre les RPG. Et si un simple nom tiré au sort peut changer à ce point la façon de jouer, on se dit que beaucoup d’autres surprises attendent les futurs éleveurs de chats.