Entretien avec Gaëtan Bruel : Le CNC et l'engagement pour promouvoir le jeu vidéo français

Titre original : “Le jeu vidéo est absolument partout” Rencontre avec Gaëtan Bruel, le nouveau président du CNC (Centre National du Cinéma) qui encourage le jeu “made in France”

En amont de la Paris Games Week 2025, nous avons pu nous entretenir avec Gaëtan Bruel, président du CNC depuis le mois de février 2025. Bien que généralement associé au monde du cinéma et des séries, l’établissement public accompagne également la filière française du jeu vidéo. Aides, crise du secteur, éducation aux images… nous abordons tous les sujets avec celui qui veut faire briller le jeu “made in France”.

JV : Fondé en 1946, c’est-à-dire bien avant l’apparition de nos jeux vidéo, le Centre national du cinéma et de l'image animée existe depuis presque 80 ans. Sous l’autorité de la ministre de la Culture, il a pour mission de valoriser et de soutenir financièrement l’écosystème créatif de l’image animée. Dans l’image animée, il y a les films, les séries, mais il y a aussi les jeux vidéo.

Gaëtan Bruel : Le CNC soutient le cinéma depuis la Seconde Guerre mondiale, et le jeu vidéo depuis une trentaine d’années. Il est la maison de toutes les créations dans le domaine de l'image animée : cinéma, séries TV, jeux vidéo et réalité immersive. Nous sommes très fiers de soutenir le secteur du jeu vidéo, qui est l’une des grandes réussites françaises. Des jeux emblématiques des années 1990, comme Versailles 1685 Complot à la cour du Roi Soleil, le premier jeu d’aventure historique, étaient déjà soutenus par le CNC. Nous avons bien sûr fait évoluer nos dispositifs en même temps que les pratiques de jeu et l'apparition de nouvelles formes créatives.

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JV : Dans les jeux qui ont reçu des aides du CNC, nous trouvons des titres tels que Greedfall, A Plague Tale, Dead Cells, En Garde!, Chants of Sennaar… il y a de gros projets faits par de gros éditeurs comme Ubisoft, mais aussi des petits projets faits par des studios indépendants. On pourrait se demander : pourquoi aider les grands alors qu’on pourrait aider plus de petits ?

Gaëtan Bruel : Nous pouvons aider absolument tout le monde ! Le CNC accompagne la filière française du jeu vidéo de trois façons. Il y a tout d’abord le crédit d'impôt jeux vidéo (CIJV) qui permet de défiscaliser 30% des coûts de production d'un jeu. On parle de 50 millions d’euros par an, qui ont bénéficié à plus de 200 studios de toute taille depuis la création de ce dispositif extrêmement efficace. Il y a ensuite le fonds d’aide au jeu vidéo (FAJV), qui est par définition orienté vers des studios indépendants, et d’une taille plus modeste. C’est une enveloppe de 5 millions d’euros, que nous avons ponctuellement augmentée à 6,5 millions l’an passé dans un contexte difficile pour le secteur. Il s’agit d’une aide sélective attribuée après l'avis d'une commission d'experts indépendants, depuis peu présidée par Thomas Jolly qui, en plus d’être l’un de nos plus grands metteurs en scène, se trouve être un passionné de jeu vidéo. L'objectif est vraiment de soutenir les studios indépendants, notamment les jeunes studios, aussi les auteurs directement, pour qu'ils prennent des risques créatifs. Des jeux emblématiques comme Chants of Sennaar ou Clair Obscur : Expedition 33 en ont bénéficié. Le troisième levier, c’est un ensemble d'actions de soutien à la filière, soutien aux écoles, soutien à l'export avec la marque “Game France”.

“Le jeu vidéo est absolument partout” Rencontre avec Gaëtan Bruel, le nouveau président du CNC (Centre National du Cinéma) qui encourage le jeu “made in France”

JV : Imaginons, nous avons une super idée de jeu vidéo. Comment faisons-nous pour la présenter au CNC ? Est-ce qu’il y a des thèmes et des genres qui sont privilégiés ou mis de côté ?

Gaëtan Bruel : Notre fonds d'aide, le FAJV, est ouvert aussi bien aux auteurs qu’aux studios. Si je suis un auteur, je peux demander une aide à l'écriture, et si le comité d’experts retient mon projet, je peux recevoir un accompagnement financier jusqu’à 10 000 euros qui va permettre de finaliser le concept. Si je suis un studio, je peux solliciter une aide pour un montant plus important, en général entre 50 000 et 150 000 euros, soit en phase de pré-production du jeu vidéo pour financer un prototype, soit en phase de production pour finaliser le jeu jusqu'à sa commercialisation. Là encore, les experts de la commission présidée par Thomas Joly, vont évaluer le projet selon des critères précis et transparents : la qualité artistique du jeu, la maîtrise technique ou encore la viabilité économique du projet. Tous les thèmes et styles de jeu sont les bienvenus. Dans notre filière, tous les projets sont risqués. La vocation de ces dispositifs, le crédit d'impôt, le fonds d'aide, c’est précisément d'encourager et de récompenser la prise de risque.

“Le jeu vidéo est absolument partout” Rencontre avec Gaëtan Bruel, le nouveau président du CNC (Centre National du Cinéma) qui encourage le jeu “made in France”

JV : D’où vient l’argent des aides attribuées par le CNC via le FAJV ?

Gaëtan Bruel : Excellente question ! Pas un euro ne vient de l’Etat. Le CNC ne coûte rien aux contribuables français. Nous collectons des taxes sur les billets de cinéma, sur les abonnements des diffuseurs TV et des plateformes comme Netflix…. Et parmi ces recettes, qui servent donc d'abord à financer le cinéma et la création audiovisuelle, le CNC prélève 5 millions d'euros chaque année qui permettent donc de financer des jeux vidéo novateurs. Nous sommes fiers de dire qu’en France, c'est le cinéma et la création audiovisuelle qui contribuent à financer le jeu vidéo. Il y a une vraie solidarité au sein de l’image animée.

JV : L’aide à la production proposée par le CNC est conditionnée au fait que le studio de développement conserve les droits de propriété intellectuelle de son jeu. Pourquoi ?

Gaëtan Bruel : Si l’on veut réussir en étant un studio indépendant, il faut dès le début penser comme un grand studio, et voir que détenir la propriété intellectuelle des jeux que l’on crée, c’est à la fois s’assurer de la juste récompense de son talent, de son travail, mais c’est aussi se donner les moyens de prendre des risques plus grands, pour rencontrer des succès plus forts encore. C’est un cercle vertueux. Si vous faites un jeu exceptionnel, mais que vous n'en détenez pas les droits, vous repartez en quelque sorte à la case départ. C’est pour cela qu’il est si important de garder la propriété intellectuelle sans la céder entièrement à un éditeur.

“Le jeu vidéo est absolument partout” Rencontre avec Gaëtan Bruel, le nouveau président du CNC (Centre National du Cinéma) qui encourage le jeu “made in France”

JV : Le jeu vidéo en 2024 c’est 5,7 milliards de chiffre d’affaires, soit une baisse de 5,8 % par rapport à 2023. Nous assistons à des contre-performances de quelques jeux AAA au profit de projets plus petits. Comment analysez-vous la crise de certains éditeurs français et de l’industrie au sens large ?

Gaëtan Bruel : C’est une crise mondiale, mais la France est plutôt résiliente quand on la compare à d’autres pays. Le Covid fut, du point de vue du jeu vidéo, un moment presque euphorique. Le contre-coup a été très dur pour toute la filière, en particulier en Amérique du Nord. Il y a un ralentissement global, qui est inédit : c'est la première fois, dans l'histoire du jeu vidéo, que le nombre de joueurs cesse d'augmenter. En même temps le jeu vidéo est désormais absolument partout, toutes les générations et tous les milieux sociaux jouent ! Il y a d’ailleurs un décalage flagrant entre la réalité d’une pratique culturelle massive - la première - et une quasi absence dans les discours publics, quand ce n’est pas la permanence de clichés pénibles. Faire prendre conscience que le jeu vidéo est une réalité créative, massive et positive, c’est le premier défi dans ce contexte. Le ralentissement global, c’est aussi le fait que le temps moyen de jeu diminue, concurrencé par d’autres pratiques tournées vers les plateformes sociales et gratuites. C’est un deuxième défi, et il me semble très sérieux. On connaît tous autour de nous d’anciens joueurs, qui préfèrent désormais regarder d’autres jouer sur Twitch ou sur Youtube. Face à ces évolutions, je suis convaincu que le jeu vidéo n’a pas dit son dernier mot, et je souhaite que le CNC joue tout son rôle pour cela.

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JV : TikTok fait du mal à nos jeux vidéo ?

Gaëtan Bruel : Au temps de jeu, c’est certain. Il y a un paradoxe, quand on regarde les chiffres : on n’a jamais passé autant de temps sur nos écrans, mais jamais aussi peu à regarder ou à jouer aux œuvres qui s’y trouvent. Dans la dernière étude Deloitte sur les tendances technologiques, 57 % des jeunes disaient préférer passer du temps sur les réseaux sociaux, à toute autre expérience audiovisuelle - cinéma, série, jeu vidéo inclus. Ces changements dans les pratiques ont des conséquences économiques fortes : aujourd’hui, l’ensemble des modèles de création premium, à nouveau, cinéma, série et jeu vidéo, se trouvent concurrencés par des modèles de création low-cost, venus de l’étranger comme le micro-drama, gonflés à l’IA. Et nourrissant la bascule des audiences vers les plateformes sociales et gratuites.

JV : Et Fortnite, ça fait aussi du mal au jeu vidéo ?

Gaëtan Bruel : Au jeu vidéo français, ça c’est sûr ! Je pense que chacun est libre de jouer à ce qu’il souhaite, c’est la base. Le fait que 93 % des enfants âgés de 10 à 17 ans sont des joueurs de jeux vidéo est formidable, parce que parmi ceux-là, il y en a beaucoup qui jouent à des jeux vidéo, français ou étrangers, qui illustrent bien le fait que c'est une pratique culturelle qui est diverse, qui est l'occasion d'échanges collectifs, qui ouvre des imaginaires, qui fait réfléchir. Le problème, ce n’est donc pas le jeu vidéo, mais certains jeux vidéo, avec des mécaniques de jeu très addictives et des temps de jeu de dizaines d’heures d’affilée. Puisque nous parlons des enjeux culturels et industriels, il faut avoir conscience des conséquences d’un “Brawl Stars” ou d’un “Fortnite”. On dit qu'il y a un problème sur le rapport des Français aux écrans. C’est une réalité et cette typologie de jeux contribue à développer un rapport toxique aux écrans et finit par discréditer le jeu vidéo en général. Pour moi, ce sont d’ailleurs moins des jeux vidéo à proprement parler que des réseaux sociaux vidéoludiques.

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JV : Faut-il mieux éduquer à l’utilisation du temps d’écran ?

Gaëtan Bruel : Oui, il faut sensibiliser au temps que nous y passons, et il faut éduquer aux images que nous consommons. Ce rapport aux écrans, quand on joue par exemple moins aux jeux vidéo et qu’on est davantage sur Braw stars ou Tiktok, c’est un problème d'appauvrissement culturel, de santé publique, de productivité économique aussi à terme. Cependant, si le jeu vidéo pâtit lui-même de ce nouveau rapport aux écrans, je pense qu'il peut comme le cinéma en être l'un des remèdes. Il faut faire prendre conscience que le jeu vidéo, en particulier le jeu vidéo français, rend possible un rapport aux images qui est plus riche, plus vertueux. Je pense qu’il est grand temps qu’on commence à regarder autrement le jeu vidéo dans notre société. Il y a par exemple une grande sensibilité à l’école autour de la question du jeu vidéo, et c’est vraiment en cela que certains “jeux” venus d’ailleurs desservent la cause. Je suis pour ma part convaincu que le jeu vidéo a toute sa place au sein de l’éducation aux images, y compris pour faire découvrir la dimension plus patrimoniale du jeu vidéo qui permet de raconter 50 ans d'histoire, de mettre en évidence une approche artistique, de valoriser les métiers. Sur ce sujet, il y a déjà des expérimentations, mais je pense que nous pouvons aller plus loin.

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JV : Vous n'êtes pas un grand fan de Fortnite et de Roblox, mais quels sont les jeux que vous aimez ?

Gaëtan Bruel : Gaëtan Bruel : Né en 1988, je suis d’une génération très marquée par les jeux sur PC. Je me rappelle que le premier jeu auquel j'ai joué, c'était Egypte III : Le destin de Ramsès, une coproduction entre le Louvre et Ubisoft. Adolescent, j'étais plutôt attiré par des jeux de gestion et de stratégie, par exemple des jeux comme Sim City, ou plus confidentiel, Ski Park Manager, qui m'amusait beaucoup. Des jeux de stratégie temps réel, comme Age of Empires, Empire Earth, ou encore Corsair sont mythiques pour moi. J'ai aussi un peu joué à des RPG comme Baldur's Gate et un des grands jeux de ma jeunesse, c'est Flight Simulator ! C’est d’ailleurs un jeu que j’ai retrouvé avec bonheur lorsque la dernière édition est sortie - il m’a accompagné pendant la pandémie. Un autre jeu fétiche de ces dernières années, c'est Assassin's Creed, parce qu'il combine à la fois un monde ouvert et une dimension d'exploration historique. Récemment, je me suis bien amusé avec Tropico, où l’on incarne un dictateur qui doit gérer une île des Caraïbes pendant la guerre froide.

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JV : Est-ce qu'il y a des projets que vous attendez avec impatience ?

Gaëtan Bruel : Tout récemment, en visitant le studio d’Ubisoft Montpellier, j'ai eu la chance d'avoir un avant-goût de Beyond Good & Evil 2. Je ne vais pas tout vous dire, mais ça donne envie de poser une semaine de congé le jour où il va sortir ! J'étais passé à côté du premier, mais celui-ci correspond exactement aux genres de jeux auxquels j'aime jouer. Ils travaillent sur un moteur dédié qui va permettre de faire un jeu qui n’a rien de semblable et dont la promesse est extrêmement ambitieuse. En 20 ans, par rapport à quand j'ai commencé à jouer, la technologie a fait des progrès considérables. Le jeu vidéo a dès ses origines été porteur d’une promesse très forte, celle de nous faire basculer de l’autre côté des images, comme personnage, voire comme démiurge d’un monde fictif. Mais aujourd'hui, cette promesse s’incarne dans des possibilités de jeu, des univers, des expériences y compris sensorielles encore jamais vues… Je pense par exemple à Cairn, jeu d’aventure développé par le studio indépendant The Game Bakers, qui sort l’année prochaine. Nous vivons un vrai âge d'or du jeu vidéo.

“Le jeu vidéo est absolument partout” Rencontre avec Gaëtan Bruel, le nouveau président du CNC (Centre National du Cinéma) qui encourage le jeu “made in France”

JV : Cette année, à la Paris Games Week, il y aura un pavillon “Game France”. À quoi sert cet espace ?

Gaëtan Bruel : En France, il y a des jeux exceptionnels pour tous les goûts, pour tous les âges, pour tout le monde, et de ce point de vue, l'enjeu de la découvrabilité des jeux est crucial. Des jeux incroyables existent, mais on ne le sait pas ! Ou alors le public joue à des jeux qu’il adore, mais en ignorant qu’ils ont été conçus en France. Le pavillon Game France, soutenu par le CNC en lien étroit avec le SELL et le SNJV et après une concertation avec la filière, vise tout simplement à présenter le meilleur du jeu vidéo français. Concrètement, cet espace va présenter une exposition inédite sur le phénomène Clair Obscur Expédition 33. Il va aussi permettre de jouer à des nouveaux jeux sélectionnés pour leur grand potentiel. En tout, ce sont 40 jeux qui pourront être testés par les visiteurs. De manière plus générale, la marque Game France s’inspire de Film France avec toute une série de mesures pour améliorer l'attractivité et l’export du jeu vidéo. On organise par exemple des "Business Tours" pour faire venir en France des investisseurs étrangers intéressés par le jeu vidéo. Cela passe aussi par la présence de la France et du jeu vidéo français sur les salons internationaux comme la gamescom. Face à une offre pléthorique, il faut s’organiser et se distinguer. On sait que 20 000 nouveaux titres sortent désormais sur Steam chaque année. Et avec l'IA, ça risque d’être encore plus important…

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JV : Justement, l’IA dans le monde du jeu vidéo, c’est une aide ou un risque pour la filière ?

Gaëtan Bruel : C'est un sujet majeur. Le CNC est très attentif à la manière dont l'IA, et notamment l'IA générative, va impacter la manière de fabriquer et de diffuser des jeux vidéo. Je dirais que la difficulté à laquelle notre filière est d’ores et déjà confrontée est de deux ordres. D'abord, l'IA arrive à un moment où les entreprises et les métiers du jeu vidéo sont beaucoup mieux structurés qu'avant. Ça veut dire qu'il y a des fonctions qui étaient clairement définies et l'IA vient bousculer tout cela. En un sens, les entreprises doivent revenir au premier temps du jeu vidéo, quand tout était encore à inventer, notamment du point de vue de l'organisation du travail, des process. Et je sais que pour les salariés, c'est une situation qui souvent est angoissante, d’où l’importance d’avoir un dialogue social de grande qualité et de faciliter l’accès à la formation continue. La deuxième difficulté, c'est que l'IA peut fortement favoriser les jeux produits par un seul individu. Cela peut révéler des talents, mais c'est aussi un gros risque de destruction de valeur, alors que tout le marché et donc toute notre filière repose sur des productions premium. En tout cas, il ne s'agit plus d'être pour ou contre l'IA, mais de savoir comment l'utiliser de manière transparente et responsable, au service d’une compétitivité qui n’écrase pas la créativité.

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JV : Le sujet de l’IA doit forcément être au centre des discussions dans les écoles de jeux vidéo. Est-ce que le CNC joue un rôle par rapport à ces structures ?

Gaëtan Bruel : La question de la formation a toujours été au cœur des préoccupations du CNC. C'est un facteur essentiel des succès de notre filière aujourd’hui, et la meilleure garantie de ses réussites futures. L'État, à travers France 2030, co-piloté par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et la Caisse des dépôts en lien avec le CNC, a souhaité donner un soutien particulier aux écoles du jeu vidéo. Dans ce cadre, 16 organismes de formation aux jeux vidéo et aux métiers de la production numérique, ont reçu des financements importants pour à la fois développer de nouveaux programmes, en lien avec les besoins de la filière, mais aussi renforcer l'inclusion sociale dans un secteur largement dominé par des écoles privées, souvent onéreuses. Entre l’ENJMIN et quelques universités, seulement 5 % des formations jeux vidéo sont des formations publiques. Mais je n’oppose pas ici le public et le privé : France 2030 vient justement reconnaître la grande qualité d’écoles privées, indépendantes, reconnues par les experts issus de l'industrie pour l’excellence de leur formation.

JV : Peut-on faire confiance à toutes les écoles de jeux vidéo ?

Gaëtan Bruel : Malheureusement, toutes les écoles ne se valent pas, et je le dis aux candidats, il faut faire très attention. C’est une filière attractive, et certaines écoles profitent de l’attrait du jeu vidéo pour proposer, il faut le dire, n’importe quoi. Une tendance m’inquiète particulièrement. Dans le jeu vidéo comme dans l’animation et dans beaucoup d'autres secteurs, on a vu arriver depuis une dizaine d'années des groupes privés d'enseignement supérieur, qui recherchent d’abord la rentabilité. Certains ont donc augmenté les tarifs tout en dégradant la pertinence et la qualité des formations, cela alors même que la conjoncture changeait et que le marché de l’emploi du jeu vidéo devenait plus compliqué. Certaines écoles vont jusqu’à tenir des discours mensongers sur leur employabilité, ou sur le type de diplômes qu’elles délivrent. Par le jeu des locations de titres RNCP, on va par exemple dire à un étudiant qu’il va recevoir une formation de game designer alors qu’en fait il va suivre une formation événementielle. Les conséquences sont dramatiques : on a des familles qui s’endettent, des étudiants qui perdent 2 à 3 années, et qui arrivent sur le marché en étant inemployables. La seule chose que ces écoles-là font bien, c’est communiquer ! Ce qui finit par être un problème réputationnel pour l’ensemble de la filière, et notamment pour les écoles privées, indépendantes, qui elles s’inscrivent dans une autre approche. Je reviens de Lyon : il y a environ 3 000 emplois dans la filière du jeu vidéo en Auvergne-Rhône-Alpes, avec environ 250-280 postes à pourvoir chaque année. Savez-vous combien d’étudiants sortent des écoles dites de jeu vidéo de cette région ? 1 500 par an. Je veux bien que la priorité de certains soient de faire de l’argent, mais quand c’est sur le dos des étudiants et au détriment de la filière, ce n’est pas acceptable. D’autant qu’il y a des écoles formidables, publiques ou privées, le plus souvent indépendantes, qui font un travail exceptionnel dont nous avons plus que jamais besoin. Je suis ravi de voir que la filière elle-même est aujourd’hui très consciente de cet enjeu et le CNC est prêt à l’accompagner pour y répondre.

La Paris Games Week 2025 se tiendra du 30 octobre au 2 novembre 2025 à Paris Expo - Portes de Versailles. Toutes les informations sont accessibles par ici.