Le dirigeant de la plus célèbre plateforme de streaming s’en est pris au plus célèbre festival de cinéma du monde, qu’il accuse de rester figé dans le temps. Ses déclarations ravivent les tensions entre les festivals traditionnels et les nouveaux acteurs du numérique.
Lors d’une récente interview pour le supplément hebdomadaire du journal La Repubblica, Ted Sarandos, co-directeur général de Netflix, a qualifié le plus prestigieux des festivals de cinéma d’"institution poussiéreuse". Ce jugement radical s’inscrit dans un discours plus large sur la nécessité, selon lui, de moderniser les pratiques autour de la diffusion des films.
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Des critiques acerbes sur le statu quo
Sarandos critique l’immobilisme qu’il perçoit chez les grands festivals dont celui de Cannes. Il reproche notamment à ce dernier de maintenir des règles qui marginalisent les œuvres de plateformes comme la sienne, notamment en les excluant de la compétition officielle si l’exploitation en salle ne respecte pas certains critères. Il décrit ce principe comme archaïque, accusant cette “institution poussiéreuse” de ne plus correspondre ni aux attentes ni aux habitudes du public moderne. Selon lui, le modèle selon lequel un film doit rester longtemps à l’affiche en salle, ou que sa sortie en streaming doive attendre un délai défini, ne fait plus sens : “ce qui compte, c’est comment le public veut voir les films”, affirme-t-il.

Netflix en quête de reconnaissance institutionnelle
Malgré ses critiques, Sarandos et Netflix restent fortement impliqués dans le monde des festivals. La plateforme achète des films présentés lors de ces événements, même si ses propres productions ne concourent plus ou ne sont plus éligibles selon certaines règles existantes. Il souligne que lorsque le festival de Cannes a modifié son règlement pour exclure ses films de la compétition, cela a été vécu par Netflix comme une relégation de ses réalisateurs “au second plan”. Par ailleurs, Netflix n’hésite pas à jouer le jeu des Oscars : plusieurs de ses films sont sortis en salles pour satisfaire les critères d’éligibilité. L’entreprise possède même des cinémas - comme le Bay Theater à Los Angeles ou le Paris Theater à New York - non pour sauver les salles obscures, mais pour préserver une certaine expérience liée à la projection collective.

Le groupe participe activement à la production cinématographique française, en investissant chaque année près de 250 millions d’euros dans des projets locaux. Parmi les réalisations soutenues figurent par exemple Lupin, série à succès portée par Omar Sy qui a conquis un large public international, ou encore le film Athena de Romain Gavras, présenté à la Mostra de Venise et salué pour sa mise en scène ambitieuse. Netflix met également en avant ses réussites critiques et institutionnelles, comme Roma d’Alfonso Cuarón, couronné de trois Oscars dont celui de la meilleure réalisation, ou The Power of the Dog de Jane Campion, qui a valu à la cinéaste la statuette de meilleure réalisatrice en 2022. Ce contraste entre contestation et besoin de reconnaissance illustre la position ambivalente de Netflix. D’un côté, elle dénonce des structures jugées archaïques, de l’autre, elle cherche à s’inscrire dans leur logique lorsqu’il s’agit de prestige et de légitimité artistique.