Voilà une histoire qui aurait pu mal finir. Elle raconte l’épopée d’un ado doté de pouvoirs surnaturels qui a failli rendre totalement fous ceux qui ont voulu la raconter. 20 ans plus tard, elle reste un des cas les plus emblématiques de scénario catastrophe qui peut toucher n’importe quel studio de jeux vidéo. Oui, Double Fine est revenu de loin, avec Psychonauts…
Sommaire
- Le Créateur est avec vous…
- … Et avec votre esprit !
- Le cauchemar éveillé de Tim Schafer
- Oh mon Dieu, ils ont tué Majesco !
Le Créateur est avec vous…
S’il y a bien une chose qui nous frappe encore lorsque nous regardons ce qui s’est passé à la fin des années 1990 et au tout début des années 2000, c’est la grande liberté créative des studios de jeux vidéo. Il y a plusieurs raisons à cela : le passage de la 2D à la 3D ouvre des perspectives, les budgets sont bien moindres que ceux d'aujourd'hui et les éditeurs cherchent à se démarquer des autres en donnant leur chance à des projets originaux. L’industrie se structure, et avec quatre constructeurs qui veulent en découdre, SEGA, Sony, Nintendo et Microsoft, tous les coups sont permis, voire encouragés, pour signer des exclusivités.

Bien décidé à lutter avec sa meilleure arme – son chéquier – face à ses concurrents Japonais, le géant américain Microsoft signe des deals à tour de bras au début des années 2000. Il rachète Bungie (Halo), Digital Anvil (Brute Force), Rareware (Banjo-Kazooie) et se paye diverses exclusivités avec de multiples développeurs afin de sécuriser des titres tels que Oddworld : Munch’s Oddysee, Dead or Alive 4, Jet Set Radio Future ou encore Fable (avant que l’ogre vert croque carrément Lionhead). Dans cette course à la diversification de son portfolio, Microsoft, conscient qu’il ne possède pas encore de jeu de plates-formes digne de ce nom, décide de publier un soft conçu par Double Fine. Son nom ? Psychonauts. Le projet est porté par un électron libre qui a gagné ses lettres de noblesse auprès des fans de jeux d’aventure, à savoir Tim Schafer.

… Et avec votre esprit !
Les premiers problèmes touchant Psychonauts sont arrivés très tôt. Avant même sa gestation, à vrai dire. Fondé en 2000, Double Fine s’installe à San Francisco dans un entrepôt situé sur Clara Street. L’endroit n’est pas chauffé, grouille de rats, et quand il pleut, les égouts se déversent parfois dans les couloirs. Le quartier en lui-même ne respire pas la joie : les voitures garées près du studio sont régulièrement vandalisées et les dealers rôdent dans les environs. Un jour, un bruit énorme retentit dans l'entrepôt. Est-ce un avertissement divin prévenant l’équipe du chaos qui les attend avec la conception de Psychonauts ? Non, il s’agit juste d’une personne qui s’est jetée du cinquième étage d’un hôtel situé juste à côté et qui a atterri sur le toit. Résultat ? Une jambe cassée, un trou dans le plafond, et une envie irrépressible de Tim Schafer de déménager… ce qu’il parvient à faire en juillet 2003.


Les équipes de Double Fine ne sont donc pas dans les meilleures conditions quand elles débutent le travail sur Psychonauts alors qu'il leur demande beaucoup d'attention. Le soft, qui raconte l’histoire d’un gamin disposant de pouvoirs psychiques rejoignant un camp d’été pensé pour des gens comme lui, repose sur une fonctionnalité originale, celle de laisser le joueur explorer l’esprit des différents personnages de l’aventure. Raz peut en effet s’immiscer dans l’imaginaire de certains protagonistes afin de trouver la source d’un traumatisme, ou simplement pour retrouver un souvenir enfoui. Bien que Tim Schafer soit (re)connu dans le milieu, Psychonauts est la première production de son studio et elle est très ambitieuse… c’est d’ailleurs ce qui a poussé Microsoft à signer un contrat d’exclusivité. Elle doit proposer de l’action, de l’aventure, de la plateforme, de grands niveaux, des pouvoirs psychiques et des univers variés s’adaptant aux personnalités des divers PNJs !


Le cauchemar éveillé de Tim Schafer
Malgré une équipe talentueuse proposant régulièrement des idées intéressantes, le développement de Psychonauts piétine, ce qui provoque petit à petit du retard par rapport au planning initialement prévu. En 2003, Double Fine est contraint de demander aux responsables de Xbox de repousser la date de sortie. Le géant américain accepte, mais à une condition : que le studio produise une démo jouable prouvant le concept véritablement amusant de sa création, dans un délai de trois petits mois. En cas d’échec, Microsoft se réserve le droit d’annuler le contrat d’édition. En d’autres termes, la confiance s’effrite. Sous pression, les développeurs se concentrent sur un niveau en particulier, Black Velvetopia, et envoient la milestone à la firme de Redmond. Bonne nouvelle, les gens de chez Xbox adorent, le projet est donc toujours sur les rails… un court instant.


Le répit est effectivement de courte durée pour Tim Schafer. Au mois de janvier 2004, Ed Fries, le monsieur “jeux” de Microsoft qui a soutenu Psychonauts contre vents et marées, quitte l’entreprise américaine. Le mois suivant, la nouvelle direction de Xbox annonce au fondateur de Double Fine qu’elle ne soutient plus le projet, estimant que Psychonauts est trop risqué, trop cher, et qu’il a pris trop de retard. “Cette évaluation était juste, même si elle ne reflétait pas les progrès que nous avions enfin accomplis”, regrette Caroline Esmurdoc, productrice exécutive du jeu dans les lignes de GDMag. Une course contre la montre s’enclenche alors. Sans éditeur, plus les mois passent, plus les caisses du groupe se vident. Après six mois d’incertitude, Majesco entre dans la danse en juillet 2024 et accepte de publier Psychonauts, mais rien n’est facile pour Double Fine. L’éditeur exige qu’il n’y ait aucun coût additionnel, aucune embauche surprise, sans pour autant que du contenu soit retiré. Tim Schafer est contraint d’accepter. Tous les employés de Double Fine entrent alors dans un crunch éreintant. Une période de travail intensif tellement dure qu’elle bouleverse Schafer : après Brütal Legends, il mettra un point d’honneur à ne plus jamais autoriser de crunch dans sa société.

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Oh mon Dieu, ils ont tué Majesco !
Épuisée, démoralisée, peu confiante quant à son avenir, l’équipe de Double Fine parvient tout de même à respecter les folles conditions de Majesco. Psychonauts devient Gold au mois de mars 2005 et sort aux États-Unis le 19 avril de la même année. Après presque 5 années de développement et un budget de 12 millions de dollars, les joueurs ont enfin l’opportunité de découvrir ce soft. Malheureusement, ils ne se bousculent pas au portillon. En l’espace de six mois, il ne se vend que 100 000 exemplaires de Psychonauts ! C’est la catastrophe pour Majesco qui prévoit une perte de 18 millions de dollars, ce qui pousse son PDG, Carl Yankowski, à démissionner dans la foulée. Double Fine récupérera plus tard les droits d’édition du jeu et parviendra à en vendre 1,2 million supplémentaire grâce aux Stores en ligne.


Tim Schafer, voulant passer plus de temps à travailler sur la qualité de ses jeux plutôt qu’à trouver des sources de financement, acceptera de vendre son studio à Microsoft en 2019. Aujourd’hui, Psychonauts 2 est jouable “gratuitement” si vous avez le PS Plus Extra, tandis que le premier comme le deuxième épisode sont accessibles dans le Xbox Game Pass. Tous les projecteurs sont désormais tournés vers Keeper, le futur titre de Double Fine où le joueur dirigera un phare accompagné d'un oiseau marin dans des royaumes “qui dépassent l'entendement”, lit-on. Il sortira sur Xbox et PC le 17 octobre 2025.