Du bâton et de la corde à un Norman Reedus qui parcourt des dizaines de kilomètres en livrant des colis, il n’y a qu’un pas… dans l’univers et dans le cerveau fertile de Hideo Kojima. Que voulait faire Kojima avec Death Stranding à la base ? Et pour quel résultat final ?
Ce que Kojima voulait faire de Death Stranding
Hideo Kojima voulait offrir une expérience unique qui repense la manière dont les joueurs interagissent, en mettant l’accent sur la coopération, l’émotion et le lien humain, plutôt que sur la confrontation - présente dans une écrasante majorité des jeux vidéo. Pour ce faire, il s'est notamment appuyé sur les 5 points suivants (la liste n'est bien sûr pas exhaustive, mais donne un bon aperçu).
La théorie de la corde et du bâton
Kojima s’est inspiré d’un essai du romancier japonais Kōbō Abe (La Corde), qui expliquait que les premiers outils créés par l’humanité étaient le bâton, utilisé pour repousser les danger, et la corde, pour rapprocher et protéger les choses précieuses. La grande majorité des jeux vidéo utilisent principalement le bâton que l'on peut associer au combat et à la violence, alors que Death Stranding vise à mettre l’accent sur la corde, ou la connexion entre les individus.



La solitude et la connexion
Après sa rupture avec Konami en 2015 et la dissolution de son équipe, Kojima s'est retrouvé seul et a ressenti un fort besoin de se reconnecter avec d'autres personnes. Il voulait créer un jeu qui explore cette idée de connexion dans un monde où la technologie nous rapproche, mais où l’isolement est plus fort que jamais. Et cela n'a jamais été aussi vrai qu'à notre époque.
Une nouvelle forme de multijoueur
Au lieu d’un mode multijoueur compétitif comme finissent par avoir la plupart des jeux, Kojima a imaginé un système où les joueurs pourraient s'entraider indirectement, en laissant des objets, des messages et des infrastructures pour les autres, même sans interaction directe. Dans Death Stranding, les joueurs ne sont pas encouragés à tuer leurs ennemis, mais plutôt à tisser des liens avec d’autres survivants et avec d’autres joueurs. On aide les autres en construisant des routes, en laissant des équipements utiles et en formant une sorte de "collaboration invisible".

Un monde fragmenté
L’histoire du jeu met en scène une Amérique brisée, où le joueur doit reconnecter les villes et les survivants isolés. Cette métaphore illustre la division sociale et politique du monde réel. Mais le monde n'est pas fracturé que "physiquement", il l'est aussi entre l'existence et l'au-delà. Et le héros, nommé "Bridges" pour un bon clin d'oeil, est chargé de faire "le pont" entre toutes ces entités et ces notions à la fois.
Le concept du Stranding, l'échouement
Le titre du jeu fait référence aux échouages de cétacés sur la fameuse "plage" que chaque individu possède entre la vie et la mort, une image récurrente dans le jeu, mais aussi à l'idée d’être "coincé" entre deux mondes (la vie et la mort, l’isolement et la connexion). Une autre traduction de "strand" nous ramène au fameux "fil", un objet qui symbolise la connexion entre les individus, à la manière de la corde vue un peu plus haut.
Le résultat final est-il à la hauteur des aspirations de Kojima ?
Ce qui a bien marché
- Death Stranding, quoi qu'on en pense, est un jeu profondément original. Hideo Kojima souhaitait proposer une expérience inédite, et Death Stranding ne ressemble clairement à aucun autre jeu. Sa mécanique de connexion asynchrone (le strand system) pousse les joueurs à s’entraider de manière indirecte, ce qui correspond parfaitement à sa vision de "la corde plutôt que le bâton" évoquée plus haut.
- La forte résonance émotionnelle : le thème de la solitude et du besoin de connexion a touché de nombreux joueurs, notamment après la pandémie de COVID-19 qui a frappé le monde entre 2019 et 2020, et a donné un impact encore plus important à cette idée d’être isolé mais malgré tout relié aux autres.


- Une direction artistique et une narration ambitieuses : Death Stranding possède une histoire cinématographique intense, avec des personnages marquants et un univers à la fois poétique et dérangeant, renforcé par un casting de renom (Norman Reedus, Mads Mikkelsen, Léa Seydoux…).
- Un monde vivant et évolutif qui se répare et s'entraide au fur et à mesure que le joueur progresse : grâce au gameplay asynchrone, chaque joueur contribue à façonner l’environnement en construisant routes, ponts et autres infrastructures qui profitent à tous. Une magnifique allégorie de ce à quoi l'humanité devrait ressembler.
Les points plus controversés
- Un gameplay répétitif et contemplatif : beaucoup ont trouvé que Death Stranding était essentiellement un "simulateur de livraison", avec des déplacements lents et trop méthodiques. Ce rythme posé et méditatif ne convient pas à tout le monde, et certains joueurs l’ont trouvé ennuyeux. Si la corde est un formidable outil pour rassembler et lier les individus, le bâton en est, la plupart du temps, un meilleur pour se distraire. Ce qui est, à la base, le sens même d'un jeu vidéo. Entre les adeptes de Kojima et les plus pragmatiques des joueurs, ce sont essentiellement ces deux notions qui s'affrontent.
- Une narration cryptique et exagérément complexe : Hideo Kojima est connu pour ses récits parfois alambiqués, et Death Stranding ne fait pas exception. Si certains adorent son style, d’autres trouvent l’histoire trop abstraite ou lourde en sous-entendus et auraient préféré quelque chose de plus "direct".

Un jeu qui divise : en fin de compte, Death Stranding est un jeu d’auteur qui a enthousiasmé certains et laissé d’autres perplexes. Ceux qui attendaient un jeu d’action classique ont pu être déçus par son approche plus contemplative et expérimentale. Certains l'ont trouvé révolutionnaire, tandis que d’autres l'ont jugé trop lent ou étrange.
Si l’objectif était de proposer une expérience radicalement différente et marquante, alors oui, Death Stranding est à la hauteur des aspirations de Kojima. Mais en tant que jeu vidéo grand public, il reste une œuvre de niche qui ne peut pas plaire à tout le monde.