Sorti au début des années 60, ce film classé X par la censure britannique et répudié par la critique a mis un terme immédiat à la carrière de son réalisateur. Mais des années plus tard, l’intervention d’une légende du cinéma a finalement permis d’en faire un chef-d’oeuvre.
Mis au ban par la censure et la critique
Considéré aujourd'hui, et à juste titre, comme l'un des réalisateurs les plus important de l'histoire du cinéma britannique, Michale Powell a pourtant connu un triste destin alors que la sortie de son film "Le Voyeur" a mis un terme brutal à sa carrière.
Associé pendant des années au scénariste Emeric Pressburger avec qui il a notamment réalisé quelques grands films comme Le Narcisse Noir ou Les Chaussons Rouges, Michael Powell décide de s'émanciper à la fin des années 50 et commence alors à travailler sur son futur projet, Le Voyeur. Un film qui raconte l'histoire d'un jeune opérateur caméra à première vue sympathique, mais qui révèle finalement être un tueur torturé, pris de pulsions scopiques.
"Michael ne voulait pas faire du Voyeur un film d'horreur classique. Il cherchait une manière différente d'aborder le sujet. Et je pense qu'il a immédiatement senti que Mark Lewis, qui a été torturé par son père et exposé à des expériences tordues, sadiques et terrifiantes, était quelqu'un de profondément ravagé", racontait Thelma Schoonmaker, veuve de Michael Powell, dans un entretien en 2007.
Mais à l'époque, les moeurs sont bien différentes et Michael Powell doit d'abord faire face à la censure. Le film est modifié en grande partie, les séquences de nudité sont coupées et, finalement, le British Board of Film Censors décide de lui attribuer un classement X. Un premier coup létal, avant que Le Voyeur ne subisse le courroux des critiques. "La réaction des critiques en Angleterre a été vraiment choquante. Michael les a même délibérément publiées intégralement dans son autobiographie. Leur férocité est renversante. Et Michael a toujours pensé que la raison pour laquelle ils ont réagi si violemment était qu'ils ne pouvaient pas supporter l'idée de ressentir de la sympathie pour Mark Lewis dans le film. Il s'agissait après tout d'un meurtrier; leurs esprits s'embrouillaient", expliquait Thelma Schoonmaker.

Une reconnaissance salvatrice
Répudié par sa terre natale, Michael Powell est contraint de mettre un terme à sa carrière au Royaume-Uni et s'expatrie en Australie. Là-bas, il poursuit timidement son travail et tente en vain de récolter des fonds en Europe, mais finit par tomber dans l'oubli. Mais plus d'une décennie plus tard, Le Voyeur finit par atterrir dans les mains d'un jeune cinéaste, le talentueux Martin Scorsese.
Quelque temps après sa Palme d'Or à Cannes pour Taxi Driver, le cinéaste profite de sa notoriété pour proposer la projection du Voyeur au New York Film Festival de 1979. Et le film rencontre alors un franc succès. "Le Voyeur est un film unique dans l'Histoire du cinéma. Il est d'une beauté étincelante, comme tous les grands films de Michael. C'est une expérience effrayante, mais également palpitante, qui s'approche au plus près et plonge au coeur de l'impulsion cinématographique. Capturer l'image de quelqu'un est un acte très fort. Nous avons tendance à l'oublier, dans ce monde occidental inondé d'images", racontait Scorsese en 2023 pour la restauration du film.
Finalement reconnu par les cinéphiles, Michael Powell n'a malheureusement jamais vraiment surmonté l'échec du Voyeur. Quelques années avant sa mort, en 1986, il expliquait : "Je n'ai pas été blessé. J'ai seulement eu le sentiment qu'ils avaient tort et que j'avais raison. Mais je n'ai pas compris pourquoi le film avait déclenché des réactions aussi violentes. Les gens ne peuvent pas être aussi naïfs, n'est-ce pas ?"