Dans le jeu vidéo, on est très tatillon sur l’hommage et l’inspiration, qu’on a très vite tendance à voir comme un plagiat. Alors que se passerait-il si je vous disais que Warcraft, World of Warcraft, ou encore Starcraft sont depuis longtemps la cible de rumeurs accablantes. Selon cette légende, ces univers auraient été copiés sur Warhammer, une célèbre franchise de figurines. Et la rumeur ne date pas d’hier, hein, elle a une vingtaine d’années et tient toujours auprès de certains joueurs… Allez sortez vos calepins, on part mener l’enquête…
Deux univers, deux titans

Dans cette édition de JV Legends, deux géants de l’imaginaire s’affrontent, chacun campé dans son domaine : d’un côté Blizzard avec ses franchises de jeux vidéo mondialement connues, Warcraft et Starcraft, et de l’autre Games Workshop, le maître d’œuvre de l’univers Warhammer, à la fois fantasy et futuriste. Blizzard, c’est l’histoire d’un studio qui a marqué le jeu vidéo avec des piliers du genre stratégie en temps réel. Warcraft a non seulement engendré World of Warcraft, MMORPG culte, mais aussi indirectement popularisé les MOBA comme League of Legends (par l’intermédiaire d’un mod de Warcraft 3). Starcraft, lui, a défini les codes de l’esport moderne. Face à lui, Warhammer, une franchise qui a d’abord brillé par son wargame physique à base de figurines minutieusement assemblées, mais aussi par ses romans, ses jeux vidéo et un univers aux ramifications denses. Warhammer se décline globalement en deux périodes : Warhammer Fantasy Battle puis Age of Sigmar ou encore Warhammer The Old World, où la fantasy sombre se mêle à une technologie primitive, et Warhammer 40 000, une plongée brutale dans une fantasy futuriste militariste et désenchantée.


Quand le soupçon de plagiat ressurgit
Tout part d’un simple unboxing en live de figurines Warhammer, par votre humble serviteur. En découvrant les fameux Space Marines, certains des viewers y voient une parenté trop frappante avec les Terrans de Starcraft. Et ce n’est pas un cas isolé : d'autres évoquent aussi les ressemblances entre Warcraft et Warhammer. Rapidement, une rumeur familière refait surface : “Warcraft aurait été un jeu Warhammer à l’origine.” En creusant, on se rend compte que cette vieille légende urbaine n’a jamais vraiment quitté la communauté. Et malgré les ressemblances flagrantes, jamais aucune plainte légale n’a été formulée entre les deux maisons, qui ont chacune tracé leur route. Un rapide coup d’œil aux dates montre pourtant une hiérarchie temporelle claire : Warhammer naît en 1983, sa version futuriste en 1987. Blizzard arrive bien plus tard avec Warcraft (1994) et Starcraft (1998). Pourtant, pas de procès, pas de conflit ouvert. Si copie il y a eu, elle n’a jamais été juridiquement actée. Un mystère à éclaircir, donc.
Des origines moins simples qu’il n’y paraît

Contrairement à la croyance populaire, Warcraft n’a pas commencé comme un projet Warhammer abandonné. À l’origine, l’inspiration majeure vient d’un autre monument : Dune II, jeu de stratégie paru en 1992, que les développeurs de ce qui deviendra Blizzard adorent. Ces derniers, frustrés par l’absence de mode multijoueur, bricolent leur propre version. Cette relecture de Dune servira de socle à Warcraft. Côté esthétique, c’est bien Warhammer qui servira de référence visuelle. Les artistes du studio, tous admirateurs de l’univers Games Workshop, infusent cet ADN dans leur jeu. À un moment, l’idée germe : pourquoi ne pas carrément acquérir la licence Warhammer ? Mais le souvenir douloureux de collaborations passées pousse Blizzard à refuser de se soumettre une fois de plus à des ayants droit. Les créateurs veulent garder la main sur leur univers. Ils envisagent même, au départ, de décliner le moteur de Warcraft dans d’autres contextes : guerre du Vietnam, futur dystopique… Bref, Warcraft ne devait être qu’un prototype parmi d’autres. Mais le succès est tel que le studio se recentre sur cet univers, l’étoffe avec Warcraft 2, puis développe ce qui deviendra une des plus grandes licences du jeu vidéo avec notamment Warcraft 3 et World of Warcraft.


Starcraft, l’histoire d’un retournement

Concernant Starcraft, l’histoire est plus surprenante. Contrairement à Warcraft, les développeurs ne revendiquent aucun lien direct avec Warhammer 40K. En fouillant les interviews d’époque, on découvre que beaucoup d’entre eux ne connaissaient même pas l’univers Games Workshop au moment de concevoir le jeu. Et pourtant, les ressemblances sont là : des factions typées, une guerre totale, une esthétique sombre et militaire. À sa première présentation, Starcraft est raillé comme un simple “Warcraft dans l’espace”. Cela pousse l’équipe à retravailler intensément l’univers. C’est là que les Zerg naissent véritablement, inspirés de créatures d’Alien, des monstres de Starship Troopers et de diverses références SF. Le design de l’Hydralisk deviendra emblématique, dictant l’esthétique organique, menaçante et charismatique des Zerg. Mais l’ironie du sort, c’est que cette fois, c’est Games Workshop qui va puiser chez Blizzard. La faction des Tyranides, des xénomorphes de Warhammer 40K, va profondément évoluer au fil des éditions. D’un style criard et peu cohérent dans les années 90, ils adoptent après 1998 une silhouette et une palette bien plus proches des Zerg : carapaces osseuses, couleurs désaturées, armes biologiques… Bref, les rôles s’inversent, et Starcraft devient une source d’inspiration pour Warhammer 40K.


Des influences qui vont dans les deux sens
L’affaire des Tyranides illustre bien la nature poreuse des influences entre les deux géants. Loin d’un plagiat pur et simple, on assiste à une sorte de dialogue esthétique entre deux visions du futur : celle de Blizzard et celle de Games Workshop. Des créateurs passent même d’une équipe à l’autre, à l’image d’Andy Chambers, ancien de Warhammer devenu directeur créatif sur Starcraft 2. L’inspiration est donc croisée, multiple, et enrichissante pour les deux bords.
Et si tout venait d’ailleurs ?
Mais il faut aussi regarder plus loin. Car Warhammer et Starcraft ne sont eux-mêmes pas nés dans le vide. L’univers de Warhammer 40K, comme celui de Starcraft, sont des creusets d’influences plus anciennes. Un des grands absents des débats de fans, c’est Starship Troopers, non pas le film, mais le roman original de 1959. Ce livre décrit une humanité militariste, froide, vêtue d’exosquelettes géants et affrontant des insectes extraterrestres dans une guerre totale. Les similitudes avec les Space Marines et les Terrans sont troublantes. Les aliens du roman ne sont pas stupides et manient aussi des armes évoluées, ce qui préfigure autant les Zerg que les Tyranides.
La dystopie technologique, l’idéologie fascisante, le mépris de l’Autre, tout cela irrigue les fondements du lore de Warhammer 40K. Même l’imagerie totalitaire, récupérée plus tard dans le film de Paul Verhoeven avec ses pastiches de propagande nazie, est un ingrédient essentiel du ton brutal et cynique de l’univers. Et ce n’est pas tout : le film d’animation Wizards (1977) présente déjà un monde où les forces du bien affrontent une armée d’orcs militarisés, utilisant des restes de technologie du passé, y compris des extraits de propagande du IIIe Reich. Une autre source d’inspiration pour Warhammer ? Très probable. Même le groupe de métal GWAR, avec ses costumes grotesques et guerriers, aurait influencé certains designs de figurines.
Une guerre sans vainqueur, mais un univers enrichi
À l’issue de cette plongée dans l’histoire, il semble difficile, voire absurde, de trancher une bonne fois pour toutes la question du “qui a copié qui ?”. Ce qu’on observe, c’est un enchevêtrement complexe d’inspirations, de réinventions, de dialogues non officiels entre artistes et studios.
Warhammer, Warcraft, Starcraft… ces mondes partagent un ADN commun, mais chacun a su, à sa manière, se l’approprier, le faire muter et en faire quelque chose de singulier. Le jeu vidéo, la littérature SF, le cinéma, le wargame : tout cela forme une grande tapisserie au sein de laquelle les idées circulent, s’adaptent et se reforgent au gré des époques.
Et finalement, n’est-ce pas là l’essence même de la création ?