Star du jeu vidéo dans les années 2000, il a levé des millions pour des causes humanitaires avant de fonder une communauté aux accents spirituels. De héros du gaming à figure controversée, son parcours intrigue autant qu’il dérange
Un prodige du jeu vidéo au sommet de sa notoriété
Au début des années 2000, un nom se fait connaître dans la sphère du jeu vidéo en ligne : Athene, pseudonyme de Bachir Boumaaza. Ce joueur belge se distingue dans "World of Warcraft", un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur (MMORPG), où des millions de joueurs à travers le monde incarnent des héros dans un univers fantastique. Athene ne tarde pas à faire parler de lui pour ses performances hors normes. Il atteint le niveau maximal du jeu en un temps record, à plusieurs reprises, grâce à une organisation détaillée et une stratégie collective rodée avec son équipe. Il serait le premier à attendre le niveau 70 sur World of Warcraft : Burning Crusade. En 2008, il est également presque le premier à atteindre le niveau 79 (un quiproquo arrive du côté de Blizzard, banissant Athene et son équipe avant le Graal) dans l'extension Wrath of the Lich King. Probablement déçu d'avoir raté l'occasion de briller, il retente sa chance et deviens le premier à atteindre le niveau 85 lors de Cataclysm en 2010 avec son camarade Forscience (un Paladin aussi).
Ses exploits sont relayés sur YouTube, où il publie des vidéos à la tonalité humoristique et provocatrice, ce qui contribue à bâtir sa notoriété au-delà du cercle des joueurs aguerris. Ces contenus mêlent démonstrations de gameplay et séquences plus personnelles, où il incarne un personnage narcissique et excentrique. Dans une interview accordée à CNN (à retrouver ci-dessous), il explique faire "la caricature du joueur de jeux vidéo compétitif qui polarise mais attire une audience fidèle". Pour bien comprendre sa notoriété de l'époque, on peut rappeler qu'il aurait été éjecté d'un tournoi en Suède pour des raisons de sécurité : trop de fans se rassemblait là où le joueur passait.
Une cause humanitaire à travers le jeu
Après plusieurs années à graviter dans le milieu du jeu vidéo à niveau compétitif (un objet en nommé en son nom sur League of Legends, atteint le rang n°1 sur Hearthstone), Athene se tourne vers un projet d'un autre genre : utiliser sa notoriété pour servir des causes humanitaires. En 2013, il lance la plateforme "Gaming for Good. Son principe : permettre aux joueurs de faire des dons à des ONG comme Save the Children, en échange de clés de jeux vidéo offertes par les développeurs partenaires. Lors d'une interview accordée au média CNN, il explique :
Comment vous est venue l'idée de collecter des fonds ?
Lorsque nous avons organisé un tournoi, nous avons récolté 25 000 dollars et à partir de là, je me suis dit que je pouvais peut-être relever la barre en récoltant un million, puis 10 millions et maintenant plus de 20 millions (...) J'espère vraiment pouvoir toucher autant de personnes que possible et faire la différence.
Ce modèle de collecte de fonds atypique rencontre un certain succès. Lors d'un événement caritatif baptisé The Siege, deux guildes de joueurs professionnels s'affrontent pour la bonne cause. Cette initiative permet de récolter plus de deux millions de dollars. Au total, Gaming for Good aurait permis de rassembler plus de 10 millions de dollars pour diverses organisations. En 2015, Athene crée également un collectif de streamers appelé The Avengers, mobilisé pour intervenir lors de crises humanitaires. Il appelle des streamers du monde entier à participer. La France n'est pas laissée indifférente par cette appel en la personne de Adrien "Zerator" Nougaret. C'est dans un entretien accordé au média LaCrèmeDuGaming qu'il explique :
Interviewer : On sait que ce n'est pas la première fois que tu participes à un événement qui lie le caritatif au jeu vidéo. Est-ce que tu peux nous parler de ton implication dans ce genre de choses ?
ZeratoR : Bien sûr. C’est le troisième gros événement caritatif que je fais, à chaque fois par l’intermédiaire d’Athene, un streamer très connu. Je me suis beaucoup inspiré de lui, c’est quelqu’un que je suis depuis longtemps. Le premier c’était en 2013, quand il a lancé “The Siege”, un événement entre deux guildes World of Warcraft. Il m’a proposé d’y participer à la Gamescom où j’avais eu la chance de l’interviewer. On avait pu restreamer l’événement en français (...) Et il y a 8 mois à peu près il m’a recontacté pour me parler d’un gros projet. Il m’a expliqué que c’était un regroupement de streamers qui visait à lever des fonds en cas de grosse catastrophe naturelle ou de gros problèmes quelque part dans le monde. Évidemment il espérait ne jamais avoir besoin de le déclencher. J’étais hyper motivé donc j’ai dit oui.
De quoi lancer l'un des créateurs de contenu jeux vidéo les plus connus en France qui ne va pas s'arrêter après ce premier événement : il lance le ZEvent, une initiative similaire à son nom qui va réunir des dizaines de millions d'euros pour divers associations caritatives
Une dérive controversée, entre admiration et malaise
Parallèlement à ses projets caritatifs, Athene commence à modifier la nature de son contenu. Au fil du temps, il délaisse progressivement l'univers des jeux pour se consacrer à des contenus davantage centrés sur le développement personnel et la spiritualité. Il développe un discours philosophique autour de l'éveil de la conscience et de la recherche de vérités universelles. Cette nouvelle orientation, bien qu’appréciée par certains de ses fans, inquiète une partie de son audience. Par exemple, dans la vidéo intitulée Why Are We Here? Athene on TEDx, il partage sa vision personnelle de la réalité, influencée par des lectures scientifiques et métaphysiques. Le discours change, et la communauté en ligne commence à s'interroger. Mais c'est son documentaire nommé Athene's Theory of Everything qui explose.
Dans un registre similaire, en 2011, il initie un projet baptisé The Singularity Group. Présenté comme un collectif de bénévoles engagés, ce groupe vise à utiliser la technologie pour des actions philanthropiques. Basé près de Berlin, il offre un environnement de vie et de travail collaboratif où les volontaires peuvent se consacrer à des projets ayant un impact social positif. Le groupe a développé plusieurs initiatives, notamment des jeux mobiles comme Mobile Minigames, permettant aux joueurs de générer un revenu de base universel grâce à la technologie blockchain. Ils ont également lancé des projets tels que PRPS (Purpose) et DubiEx, axés sur la création de solutions technologiques pour le bien commun.
Certaines personnes considèrent cette évolution comme le fruit d'une démarche sincère de quête de sens. D'autres y voient les signes d'une dérive sectaire. Des témoignages apparaissent, sur des forums et réseaux sociaux, évoquant des manipulations psychologiques, un discours déconnecté, et une communauté regroupée autour de la figure centrale d'Athene.
Un documentaire publié sur YouTube en 2021, Investigating Athene : The YouTuber Who Started a Religion, analyse cette transformation. Il compile des extraits de ses vidéos, des interviews d'anciens collaborateurs et des analyses extérieures. Certains propos tenus par Athene y sont interprétés comme des tentatives de contrôle sur ses adeptes, dans un environnement coupé du monde extérieur.
La figure d'Athene reste complexe. Pour une partie de la communauté gaming, il est un précurseur et un philanthrope qui a su transformer sa popularité en levier de solidarité. Pour d'autres, il incarne un cas d'école sur les dangers de l'ultra-exposition numérique et du pouvoir charismatique sur internet. Si le terme de "secte" reste controversé, les pratiques d'Athene ont clairement suscité une rupture avec le grand public. Aujourd'hui, il continue de publier du contenu sur ses chaînes, mais son audience est bien moindre qu'à l'époque de ses records dans World of Warcraft.