Amy Hennig est une figure emblématique de l’industrie vidéoludique qui a connu un parcours chaotique. Malgré l’énorme succès de la saga Uncharted sur laquelle elle a travaillé, elle va enchaîner les déceptions professionnelles.

Les premiers pas d’une passionnée : du roman à la manette

Avant d’imaginer les aventures palpitantes de Nathan Drake, Amy Hennig s’épanouissait dans un univers bien différent : celui de la littérature anglaise. Diplômée dans ce domaine, elle s’imaginait un destin plus académique, peut-être dans l’enseignement ou la recherche, loin des joysticks et des lignes de code. En parallèle, une autre passion l’animait : celle du cinéma. Elle s’inscrit alors dans une école dédiée à cet art à San Francisco avec un gros intérêt pour tout ce qui touche à la narration visuelle et à l'art de conter par l’image.

Mais la vie, souvent, ne suit pas les sentiers balisés. Amy se retrouve impliquée dans le développement d’un jeu pour l’Atari 7800 : Electrocop. Le projet ne verra jamais le jour, ce qui est une première déception pour Hennig, et pourtant, c’est là que tout commence. La développeuse comprend que ce médium, hybride entre art visuel, technologie et récit, a un avenir brillant devant lui. Elle abandonne alors ses études de cinéma, non par dépit, mais avec une conviction nouvelle. Sa voie se trouve ailleurs : du côté du jeu vidéo !

Ascension dans l’ombre jusqu’à rencontrer Kain

Après quelques projets en freelance, Amy Hennig intègre Electronic Arts. Elle y travaille sur plusieurs titres, dont Bard’s Tale, Desert Strike et même un jeu à l’effigie de Michael Jordan. Ces expériences, bien qu’éloignées de ses aspirations premières, vont lui offrir une compréhension complète des rouages du développement vidéoludique, de la création à la production. Son véritable envol, toutefois, se produit chez Crystal Dynamics. Elle collabore d’abord avec Silicon Knights au développement du tout premier Blood Omen : Legacy of Kain, projet où elle multiplie les casquettes puisqu’elle est à la fois game director, producer et lead designer du titre. Malgré le succès de Blood Omen, c’est surtout avec Soul Reaver, sa suite, qu’elle marque les esprits. Directrice, productrice et scénariste, Amy impose une patte unique sur cette œuvre sombre. Soul Reaver 2 et Legacy of Kain : Defiance viendront confirmer sa capacité à tisser des récits à la fois passionnants et complexes dans un médium trop souvent réduit à la performance graphique.

Bien que certaines critiques pointent du doigt une certaine baisse de qualité dans les dernières productions citées, Amy Hennig est fière de son travail. À cette époque, son nom est surtout plus connu dans l’industrie que dans les médias. Et c’est quand elle rejoindra Naughty Dog qu’elle va définitivement être mise sous le feu des projecteurs.

L’âge d’or : l’ère Uncharted

Lorsqu’Amy rejoint Naughty Dog, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Elle contribue d’abord à la série Jak and Daxter, mais très vite, un nouveau projet attire son attention : Uncharted. Ce qui n’est encore qu’une esquisse deviendra une franchise culte. Avec Uncharted: Drake’s Fortune, Amy pose les bases d’un genre : le jeu d’aventure narratif à la troisième personne, empruntant au cinéma hollywoodien son rythme, sa mise en scène et ses personnages attachants. Ces derniers ne doivent d’ailleurs pas être des héros invincibles, mais des personnages ordinaires à qui il arrive des choses extraordinaires.

C’est avec Uncharted 2 : Among Thieves que la magie opère véritablement. Directrice de jeu, scénariste principale, Hennig orchestre un projet titanesque avec plus de 150 personnes sous sa direction. Le jeu est acclamé, aussi bien pour ses mécaniques de gameplay que pour sa narration ciselée et ses personnages nuancés. Nathan Drake devient iconique, au point qu’il devient presque une mascotte de PlayStation. À la fin du développement d’Uncharted 2, deux membres de l’équipe, Neil Druckmann et Bruce Straley, pensent qu’il ne sera pas possible de faire mieux et travaillent sur une nouvelle licence : The Last of Us.

Pilleur de tombe

Privée des talents de Neil Druckmann et Bruce Straley, Amy se lance dans la production d’Uncharted 3. Le soft suit la même trajectoire que son grand frère, consolidant une vision artistique où chaque séquence semble pensée comme un plan de cinéma, sans jamais sacrifier l’interactivité. Dans l’ombre de cette réussite, pourtant, des tensions grandissent. Lorsque le développement d’Uncharted 4 démarre, Hennig se trouve dans une position de fragilité. Déjà, elle commence elle aussi à en avoir un peu marre de Nathan Drake et veut produire un volet qui clôturera le récit afin d’être certaine de passer à autre chose par la suite. Ensuite, Neil Druckmann et Bruce Straley, qui font le sprint final pour boucler The Last of Us dans les temps, réclament davantage de ressources pour leur propre projet. On déshabille alors Peter pour habiller Paul : des membres de l’équipe d’Uncharted 4 sont transférés ailleurs, laissant Amy face à un projet de plus en plus difficile à faire avancer. Enfin, Tomb Raider, de ses anciens collègues de Crystal Dynamic, arrive et devient un succès à la fois critique et commercial… en s’inspirant d’Uncharted !

Certains diront que la période était trop compliquée pour Amy. D’autres affirment qu’aucun créateur ne peut faire de miracle avec une équipe aussi petite pour un projet aussi grand. À une petite année de la livraison du jeu, une réunion décisive finit par écarter Hennig du développement d’Uncharted 4. Druckmann et Straley reprennent ainsi la main et modifient de fond en comble le scénario, retardant considérablement la sortie du soft. L’acteur Todd Stashwick, initialement choisi pour incarner le méchant principal, est évincé, et une partie du travail effectué disparaît dans les limbes. Amy Hennig quitte Naughty Dog après dix années de bons et loyaux services, dans une atmosphère trouble où se mêlent rumeurs d’éviction, fatigue créative et bouleversements internes. Son départ entraîne dans son sillage Justin Richmond, réalisateur d’Uncharted 3, qui s’envole pour Riot Games. Pour Amy, une nouvelle aventure commence.

Le rêve brisé de Star Wars

Retour aux sources ! Lorsque Hennig retourne chez Electronic Arts en 2014, c’est avec l’enthousiasme de ses débuts. Elle retrouve l’entreprise qui l’avait vue débuter, et plus encore, elle se voit confier un rêve d’enfant : travailler sur un jeu Star Wars. EA vient tout juste d’obtenir la licence pour développer des jeux autour de l’univers de George Lucas. Battlefront est entre les mains de DICE, mais Visceral Games, le studio californien d’EA, est chargé de développer un projet nommé Ragtag, et Amy Hennig est choisie pour le diriger. Elle s’investit corps et âme dans ce nouveau projet, réunit une équipe talentueuse, et fait appel à son ancien complice Todd Stashwick pour coécrire le scénario.

Tout semble bien parti, mais en octobre 2017, le couperet tombe. EA annonce la fermeture pure et simple de Visceral Games. Le projet Ragtag est transféré au studio Motive, dirigé par Jade Raymond, mais il subit de profonds remaniements. Ce qui devait être un jeu narratif centré sur des personnages et une histoire linéaire est transformé en une expérience plus ouverte, plus “market-friendly”, selon les dires de la presse spécialisée. Amy Hennig, désabusée, quitte le projet. Le rêve Star Wars, nourri pendant des décennies, s’éteint ainsi sans avoir jamais vu le jour.

Projets incertains, héritage indélébile

Malgré ces échecs cuisants, Amy Hennig ne se laisse pas abattre. En 2019, elle rejoint Skydance Media, une société de production désireuse de se lancer dans les expériences narratives interactives. Elle s’entoure d’anciens collaborateurs, notamment Todd Stashwick, et annonce travailler sur un jeu d’action-aventure encore mystérieux. Plus tard, on découvre qu’elle fait partie de l’équipe narrative du jeu Forspoken, aux côtés de Gary Whitta et Allison Rymer. Malheureusement, le titre de Square Enix est accueilli de manière mitigée au moment de sa sortie en 2023. Au-delà de ses projets récents, Amy Hennig continue d’être honorée pour l’ensemble de sa carrière. Elle reçoit deux Game Writing Awards de la Writers Guild of America, un BAFTA Special Award en 2016, et en 2019, la Lifetime Achievement Award lors de la Game Developers Conference.

Amy Hennig est donc une figure paradoxale de l’industrie du jeu vidéo : adulée pour ses succès (Soul Reaver, Uncharted), elle incarne à elle seule les espoirs et les désillusions d’un médium souvent impitoyable. Aujourd’hui, nous savons qu’elle travaille sur Marvel 1943 : Rise of Hydra ainsi que sur un nouveau jeu Star Wars ! Nous espérons que celui-ci finira par sortir.