La franchise Final Fantasy, figure emblématique de l’industrie vidéoludique, a alterné entre des périodes de gloire inégalée et des moments de profondes difficultés durant ses trente-cinq années d’existence. Parmi ces péripéties, les annulations de titres, les reprises in extremis et les redémarrages techniques ont jalonné son histoire. Ces instants sombres participent paradoxalement au caractère mythique de cette saga, et c’est précisément sur l’un de ces épisodes singuliers que nous allons nous pencher.
Pour de nombreux joueurs, Final Fantasy évoque des cinématiques spectaculaires qui ont régulièrement redéfini les standards de la mise en scène en images de synthèse. D’autres sont avant tout séduits par ses univers oniriques et grandioses, invitant au voyage dans des contrées où la magie est reine. Chaque itération propose une narration inédite, sublimée par des compositions musicales mémorables, désormais interprétées lors de concerts philharmoniques annuels. Cependant, pour l’ensemble des passionnés, la saga représente l’apogée du jeu de rôle japonais, un genre qu’elle a dominé pendant une quinzaine d’années avant de rencontrer des problèmes de production récurrents.
L’âge d’or de la franchise coïncide avec les générations de consoles qu’elle a traversées jusqu’à l’aube des années 2000, notamment la NES, la Super NES, les PlayStation et PlayStation 2. La période plus trouble a débuté avec l’avènement de la haute définition et la sortie de la PlayStation 3. Afin de comprendre l’origine de ces difficultés, il est nécessaire de remonter le temps jusqu’en 2006, année où Square Enix dévoilait ses ambitions pour la PS3, annonçant non pas un, ni deux, mais trois projets Final Fantasy XIII distincts.
La genèse d'un projet phare aux ambitions démesurées
Au cours de cette année charnière, Square Enix s’est engagé dans une prise de risque considérable afin de réussir sa transition vers la haute définition. L’entreprise était consciente que les coûts de développement allaient croître de manière significative, nécessitant des méthodes de production fondamentalement différentes. L’arrivée de la HD marquait une véritable mutation industrielle pour le jeu vidéo, contraignant Square Enix à passer d’une approche artisanale, qui avait fait son succès pendant quinze ans, à une production de précision pour assurer sa pérennité. Cette évolution impliquait un accroissement des effectifs et une refonte urgente des processus de travail. Dans le but de garantir sa rentabilité à court et moyen terme, la société a mis en avant un concept fédérateur, la Fabula Nova Crystallis, autour duquel devaient graviter ces trois jeux Final Fantasy XIII.
Le premier était Final Fantasy XIII, un RPG destiné à la PS3. Le second était Final Fantasy Agito 13, un spin-off mobile qui ne retiendra pas notre attention ici. Enfin, le troisième projet, et véritable sujet de cet article, était Final Fantasy Versus XIII, un jeu d’action-aventure également prévu sur PS3. Les observateurs avertis savent que Versus XIII sera finalement transformé en Final Fantasy XV, expliquant la présence de son protagoniste et d’autres éléments dans ce dernier titre. Cependant, en 2006, lors de l’annonce de ce triptyque Final Fantasy XIII, le public a manifesté un enthousiasme débordant, persuadé que ces jeux verraient le jour dans un avenir proche. Or, cette présentation s’est avérée être une promesse illusoire de la part du studio. Par excès de confiance, Square Enix s’est permis de dévoiler en grande pompe trois projets qui n’en étaient qu’à un stade embryonnaire de préproduction. Par conséquent, tous les visuels présentés étaient soit des images de synthèse, soit des vidéos de « Target Render », servant d’objectifs de rendu que les équipes devraient ensuite s’efforcer d’atteindre avec le moteur du jeu final.

Un développement semé d'embûches aux priorités changeantes
En parlant de moteur, il convient de souligner qu’un nouveau moteur avait été spécifiquement conçu pour la PlayStation 3. Bien que cette initiative fût prometteuse, sa conception s’est avérée extrêmement chronophage. Ainsi, malgré l’annonce des trois jeux en 2006, le moteur ne fut disponible qu’un an et demi plus tard. De plus, les équipes travaillant sur le RPG Final Fantasy XIII ont été considérées comme prioritaires par rapport à celles de Versus XIII, entraînant une stagnation du projet, relégué à une longue phase de préproduction. Paradoxalement, Versus XIII suscitait une attente plus forte que le RPG principal. Cette situation résultait d’une gestion des priorités discutable de la part de Square Enix. L’attente considérable autour de FF Versus XIII s’expliquait par le caractère grandiose que le jeu laissait entrevoir. Il se présentait comme une œuvre sombre, romanesque, romantique, moderne, avant-gardiste et envoûtante dès ses premières années de développement.
Le jeu, qui deviendrait ultérieurement FF15, affichait dès son annonce une ambition démesurée. Il devait proposer un univers d’action-aventure se déroulant dans une mégalopole obscure, une vision gothique et dystopique d’un Tokyo futuriste dominé par une architecture de béton imposante. Au cœur de l’intrigue se trouvait Noctis, le protagoniste principal, issu d’une lignée royale et initialement présenté comme désabusé et ennuyé dans un palais austère. Les premières vidéos de présentation montraient des affrontements spectaculaires où Noctis, protégé par des lames éthérées qu’il pouvait invoquer à volonté, terrassait avec nonchalance des dizaines de gardes. Les séquences de gameplay ultérieures révélaient la présence des amis de Noctis, sa garde rapprochée, qui prenaient part aux combats. Bien que le joueur puisse prendre le contrôle de chacun de ces alliés, Noctis restait le personnage central de l’aventure. La couleur rouge vif de ses yeux laissait même planer un doute quant à sa véritable nature, suggérant qu’il pourrait incarner, pour la première fois, l’antagoniste principal de l’histoire.
Finalement, après de multiples péripéties et des années d’attente, Final Fantasy Versus XIII a subi une transformation radicale pour renaître sous le nom de Final Fantasy XV. Ce changement de titre, officialisé lors de l’E3 2013, s’est accompagné d’une réorientation du projet et d’un remaniement des équipes. Tetsuya Nomura, figure emblématique à l’origine de Versus XIII, a progressivement été écarté du projet au profit d’Hajime Tabata, réalisateur de Final Fantasy Type-0. Le Final Fantasy XV qui a finalement été commercialisé en 2016, dix ans après la première présentation de Versus 13, n’a pas toujours réussi à répondre aux attentes suscitées par les premières promesses, notamment en comparaison avec les séquences de « Target Render » initialement dévoilées. Cette longue et tumultueuse genèse témoigne des défis considérables auxquels Square Enix a été confronté durant cette période de transition vers la haute définition, laissant derrière elle le souvenir d’un projet ambitieux mais maudit qui aura marqué une décennie de l’histoire de l’entreprise