Le jeudi 27 mars à 18 heures, le géant français du jeu vidéo a surpris tout le monde en publiant un communiqué dévoilant la naissance d’une nouvelle filiale. Le plan ? Le même que celui dévoilé il y a plusieurs mois : relancer la machine Ubisoft. Le partenaire ? Le même que d’habitude : le chinois Tencent. Mais alors, rien ne bouge chez la marque à la spirale ? Pas vraiment…

On prend les mêmes et on recommence ?

Les analystes prévoyaient un démembrement des papas de Rayman, voire une revente de l'entreprise. “Assassin's Creed Shadows recevra de bonnes critiques et aura des ventes ‘ok’, mais pas suffisamment pour permettre à Ubisoft de poursuivre ses activités comme si de rien n'était”, analysait Dr Serkan Toto de Kantan Games en décembre 2024. “Ubisoft à la fin de l'année 2025 sera très différent de ce qu'il est aujourd'hui”, ajoutait-il. Même son de cloche chez Emmanuel Rosier, de Newzoo, qui estimait qu’un rachat par un autre groupe, une privatisation ou un démantèlement étaient probables pour l’éditeur français. Le lendemain de l’annonce des 3 millions de joueurs sur Assassin’s Creed Shadows, à quelques semaines de la publication de ses résultats annuels (fixée au 14 mai 2025) et sous la pression d’un fonds qui appelle à une manifestation des actionnaires, la société dirigée par Yves Guillemot surprend tout le monde en annonçant la création d’une filiale. Cette dernière disposera d’une équipe de direction dédiée et gérera les trois licences les plus porteuses de l’éditeur : Assassin’s Creed, Rainbow Six et Far Cry.

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Faisant suite à “la revue des différentes options stratégiques” annoncée plus tôt cette année, cette nouvelle filiale “se concentrera sur le développement d'écosystèmes de jeux conçus pour devenir de véritables franchises multiplateformes pérennes”, explique Ubisoft. L’entreprise précise en effet dans son communiqué officiel que cette entité va permettre “d’améliorer la qualité des expériences narratives en solo, de développer les offres multijoueurs en augmentant la fréquence de publication de contenu, d’introduire des points de contact free-to-play et d’intégrer davantage de fonctions sociales”, lit-on. En ce qui concerne les modalités, nous vous les expliquions ici : cette nouvelle entreprise sans nom est valorisée à hauteur de 4 milliards d’euros, et Tencent y apporte pas moins de 1,16 milliard d’euros pour la détenir à 25 %. Ubisoft sera l’actionnaire majoritaire et ne pourra pas perdre ce statut pendant deux ans. Tencent, de son côté, ne pourra pas augmenter sa participation pendant cinq ans, à moins qu’Ubisoft ne l’y autorise.

Direction Tencent

Il n’est pas forcément aisé de comprendre le sens de la création de cette filiale en compagnie de Tencent, d’autant plus que le géant chinois spécialisé dans les nouvelles technologies a investi par le passé 300 millions d’euros pour détenir 49,9 % du capital de Guillemot Brothers, le principal actionnaire d’Ubisoft. Déjà à l’époque, certains analystes étaient songeurs, estimant que la famille Guillemot se retirait petit à petit du capital mais gardait une position forte de pouvoir. La suspicion d’un changement de contrôle qui ne disait pas son nom était déjà dans tous les esprits. C’est un nouveau pas vers Tencent qui est fait aujourd’hui, quand bien même “des propositions de diverses parties” auraient été étudiées.

“Dit autrement, l'info du jour c'est ‘Ubisoft vend 25 % de ses plus grosses licences et l'organisation qu'il y a autour à Tencent’” résume Oscar Lemaire, journaliste spécialisé, sur Bluesky, non sans avoir publié un croquis mettant en image la nouvelle structure d’Ubisoft. “C’est l’antichambre d’une dissociation de l’activité d’Ubisoft. Sur la philosophie de l’opération, c’est un déménagement au bénéfice de Tencent”, renchérit Frédéric Genevrier, analyste financier et cofondateur d’OFG Recherche, interrogé par nos soins. Ubisoft, de son côté, a établi un “pacte d’actionnaires” stipulant qu’il y aurait une promesse de vente au bénéfice d'Ubisoft et une promesse d’achat au bénéfice de Tencent en cas de changement de contrôle approuvé par le Conseil d’Administration d’Ubisoft. Les portes de sortie sont donc bien là.

Du cash pour éponger les dettes

Sur le papier, cette mutation permettrait de mieux protéger les meilleures licences d’Ubisoft grâce au cash injecté. Comme l’écrit l’éditeur français dans son communiqué, le produit de l'opération sera utilisé pour “renforcer le bilan d'Ubisoft en réduisant de manière significative sa dette nette consolidée, accélérer la transformation du groupe et soutenir la croissance de certaines franchises choisies”. Selon les estimations des analystes de Barclays, reprises par LesEchos, “sur l'investissement de 1,16 milliard d'euros de Tencent, 520 millions d'euros sont à la disposition d'Ubisoft pour rembourser ses dettes". Voilà qui tombe bien, puisque la dette d’Ubisoft ne cesse d'augmenter depuis plusieurs années.

Dans les faits, il est encore tôt pour savoir ce que cette entité va vraiment changer chez Ubisoft… et c’est justement ce qui interpelle à la fois les joueurs, les employés et les investisseurs. Que vont représenter des franchises telles que Ghost Recon, Splinter Cell, The Crew, The Division, Just Dance, Prince of Persia, Anno ou encore Rayman, elles qui ne font pas le voyage vers cette filiale ? Est-ce qu’elles peuvent gagner en importance ou au contraire s’effacer face aux trois grosses IPs stars ? Qui va être à la tête de l’entité ? Qu’est-ce que cela va représenter pour les (nombreuses) équipes qui travaillent déjà sur Assassin’s Creed, Rainbow Six et Far Cry ? Yves Guillemot a du pain sur la planche pour expliquer – et maintenir – son cap vers le profit.

Ubisoft v2.0

La possibilité de voir la filiale devenir le “vrai” Ubisoft dans quelques années inquiète également certains observateurs. En sortant Assassin’s Creed, Rainbow Six et Far Cry du périmètre classique d’Ubisoft, jeux qui ont pris l’habitude d’éponger les pertes des autres, l’éditeur français laisse sous-entendre qu’il y a désormais un Ubisoft “Premium”, possédant les licences les plus lucratives/les studios les plus renommés, face à un Ubisoft "lambda", devant s’en sortir tant bien que mal.

Mais alors, la création de cette filiale avec Tencent, c’est positif ou négatif pour Ubisoft ? Bien que les papas d’Assassin’s Creed gagnent en flexibilité financière, les vents contraires soufflent fort. Alors que le titre du groupe est monté à 14,48 euros dans la matinée du 28 mars (le lendemain de l’annonce), il s’est écroulé dans l’après-midi à 12,1 euros, avant de se stabiliser à 12,68 à la clôture. Soit une baisse de 1,82 %. Il va falloir que Ubisoft fasse des efforts surhumains et affiche des résultats sains au cours de ses futurs exercices si la firme – et surtout Yves Guillemot – veut définitivement rassurer les marchés.