Retour sur 'Bull Fight', le jeu d'arcade controversé de SEGA qui glorifiait la corrida et choque aujourd'hui

Titre original : Ce jeu vidéo méconnu de SEGA sorti il y a 31 ans provoquerait un tollé aujourd'hui : il fait couler le sang... pour le “sport”

Élu meilleur éditeur de l’année 2024 par Metacritic, SEGA a su frapper fort avec Like a Dragon : Infinite Wealth et Metaphor : ReFantazio. Ce qui est moins connu, c’est qu’avant que la société japonaise se fasse remarquer grâce à Alex Kidd, Golden Axe, Hang-on et autres Space Harrier dans les années 1980, elle a sorti dans les salles d’arcade une borne proposant aux joueurs d’incarner… un matador. Un titre qui a forcément mal vieilli.

Sommaire

  • Mise à mort et flamenco
  • Un gameplay de cape et d’épée
  • Une autre époque

Mise à mort et flamenco

Lorsque l’on évoque le nom de SEGA, plusieurs titres nous viennent immédiatement à l’esprit. Sonic, Alex Kidd, Panzer Dragoon, Crazy Taxi, Shenmue, Phantasy Star Online, Yakuza… de très nombreux softs ont effectivement marqué les décennies. Unique concurrent japonais de Nintendo à la fin des années 1980 avec ses deux consoles de salon, la Master System et la Mega Drive, SEGA est également connu pour être un géant de l’arcade. C’est d’ailleurs via une borne permettant de jouer à un clone de Pong – intitulé Pong Tron, sorti en 1973 au pays du soleil levant – que la société a commencé son chemin sinueux dans le monde du jeu vidéo. Le gaming commence à sourire à l’entreprise alors dirigée par Hayao Nakayama : les ventes sont bonnes, mais le crash qui touche le monde du jeu vidéo en 1983 engendre des turbulences qui mèneront à un rachat de l’entreprise par le conglomérat japonais SCSK Corporation.

Ce jeu vidéo méconnu de SEGA sorti il y a 31 ans provoquerait un tollé aujourd'hui : il fait couler le sang... pour le “sport”Ce jeu vidéo méconnu de SEGA sorti il y a 31 ans provoquerait un tollé aujourd'hui : il fait couler le sang... pour le “sport”

En 1984, dans un marché en pleine mutation, SEGA décide de prendre le taureau par les cornes et s’associe avec Coreland pour publier dans les salles d’arcade un drôle de titre. Son nom ? Bull Fight. L’objectif ? Incarner un matador, un dénommé Don Jose, qui doit prouver à un public en folie que les taureaux ne l'impressionnent guère. Ses armes ? Un estoc ainsi qu’une muleta. Vous l’aurez compris, Bull Fight nous place dans une corrida où il est demandé de tuer des taureaux sous les yeux d’un public ayant payé pour voir du sang, qu’il coule des plaies de l’animal ou du torero. En cas de victoire, les points s’envolent, les applaudissements retentissent, les cotillons volent et les danseuses de flamenco soulèvent leur robe (littéralement). Si le taureau l’emporte, cependant, alors Don Jose se fait empaler avant d’être violemment éjecté vers la sortie. Un peu comme ce qui s’est récemment passé au Mexique.

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Un gameplay de cape et d’épée

Du côté de ses mécaniques, Bull Fight est typique des jeux d’arcade de cette époque avec des mécaniques faciles à apprendre mais compliquées à maîtriser. Comme dans tous les jeux d’arcade, le but n’est pas seulement de progresser : il faut avancer en gagnant toujours plus de points afin d’inscrire ses initiales tout en haut de l’écran des high-scores. Pour y parvenir, le joueur ne doit pas seulement planter le taureau, il doit le rendre fou en le faisant tourner en bourrique grâce à sa muleta d’un rouge clinquant. Il peut aussi le blesser en donnant des coups d’épée non-létaux ou en envoyant la bête s'assommer contre les murs de l’arène grâce à une habile esquive en cas de charge. Le point faible du bovidé est indiqué à l’écran par un disque coloré situé sur son dos. Il suffit que l'extrémité de la lame le rencontre pour envoyer le taureau au tapis. Une tâche plus facile à dire qu’à faire étant donné que le comportement des taureaux devient difficilement prévisible au fil de la progression.

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Ce n’est pas tout, dans son combat contre la bête, Don Jose peut perdre son arme. En cas de mauvais choc, l’épée est effectivement propulsée à quelques mètres du torero, le laissant à la merci d’un coup de corne mal placé sans possibilité d’attaquer. Le joueur doit alors courir la récupérer s’il veut tenter de survivre. Plus les niveaux défilent, plus les bovidés sont dangereux. Parfois, un taureau se relève malgré une estocade, parfois, il y a deux bestiaux dans l’arène. Histoire d’apporter un peu de variété à son jeu, SEGA propose des niveaux bonus plaçant le joueur désarmé au centre de l’arène avec 11 de ses camarades dirigés par l’IA. Il faut alors survivre au taureau déchaîné tout en évitant que ce dernier fasse du mal aux toreros. En cas de réussite, c’est le jackpot, puisqu’il est possible de gagner jusqu’à 28 000 points.

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Une autre époque

Sorti à une période où le bien-être animal dans son ensemble ne fait pas vraiment partie des préoccupations des joueurs, Bull Fight n’a pas choqué. Après tout, des titres rendant “fun” la chasse, tels que Duck Hunt, Safari Hunt, Trap Shooting ou encore Barnyard Blaster, sont légion dans les années 1980, quand bien même les mouvements animalistes et écologistes se renforceraient à cette période. Bien sûr, les temps ont changé, et il semblerait impossible de voir un géant du jeu vidéo faire revenir une production comme celle de SEGA aujourd’hui. Les sujets de la souffrance animale et de la cruauté gratuite envers les êtres vivants sont maintenant régulièrement abordés dans la sphère vidéoludique. Est-il normal de pouvoir tuer la faune gratuitement dans un monde ouvert ? Tuer des petites bêtes de la forêt pour crafter de l’équipement est-il encore une mécanique acceptable ? L’association de défense des animaux PETA a d’ailleurs plusieurs fois épinglé le monde du gaming. Far Cry 6, Animal Crossing et même Pokémon ont été qualifiés de jeux “cruels” exploitant (virtuellement) les animaux.

Ce jeu vidéo méconnu de SEGA sorti il y a 31 ans provoquerait un tollé aujourd'hui : il fait couler le sang... pour le “sport”

De Don Jose au Dow Jones, ou plutôt Nikkei, il n’y a qu’un pas que nous franchissons. Quelques années après la sortie de Bull Fight, SEGA entrera à la bourse de Tokyo tandis que Sega of America et Sega of Europe verront le jour. L’entreprise continuera de rencontrer le succès dans les salles d’arcade tout en faisant face à une concurrence terrible dans le monde des consoles de salon. À l’intérieur de l’arène de la guerre des consoles, le groupe japonais capitulera face aux bêtes indomptables que sont Sony et Nintendo. Quant à Bull Fight, il ne connaîtra aucun portage et deviendra un véritable oublié de l’histoire du jeu vidéo.