Black Dog, long-métrage primé à Cannes, explore la relation touchante entre un ex-détenu et un chien errant dans un western moderne chinois. À travers leur périple, le film dévoile aussi une critique sociale subtile sur la marginalisation et la rédemption. Un film à voir, disponible en ce moment même au cinéma.
Vous ne voulez pas manquer cet événement au cinéma, surtout si vous aimez les chiens, même les plus cabossés. Sorti dans les salles obscures ce mois de mars, le film Black Dog, Récompensé du Prix Un Certain Regard à la dernière édition du Festival de Cannes, raconte le retour de Lang, un homme au passé trouble qui est accueilli dans sa ville natale, dans le désert chinois, après un séjour en prison. Pour se faire un peu d'argent et réintégrer la communauté, il rejoint une équipe de patrouille chargée d'éliminer les chiens errants qui ont envahi les quartiers suite aux départs multiples des habitants. Par un concours de circonstances, Lang se lie d'amitié avec un chien noir, solitaire et sauvage, accusé par les locaux d’être atteint de la rage. Une rencontre inattendue qui va bouleverser sa vie et lui offrir une chance de rédemption.
Ce long-métrage est signé Hu Guan, réalisateur chinois de la sixième génération dont l’œuvre globale est marquée par une exploration des réalités sociales et des individus marginalisés en Chine, que ce soit dans Cow (2009), Design of Death (2012), ou Mr. Six (2015). Black Dog n’y fait pas exception ; dans ce road movie singulier et peuplé d’animaux errants, on y raconte une Chine en mutation, et le destin de ses laissé-pour-compte, qui peinent à survivre aux transformations sociales inévitables. Après avoir dirigé deux récents blockbusters, The Eight Hundred et The Sacrifice, portraits de la puissance militaire chinoise qui ont rapporté respectivement plus de 484 millions de dollars et 173 millions de dollars au box-office mondial, le cinéaste s'attaque à un récit cette fois plus intimiste.

Lang revient dans sa ville natale aux portes du désert de Gobi. Alors qu’il travaille pour la patrouille locale chargée de débarrasser la ville des chiens errants, il se lie d’amitié avec l’un d’entre eux. Une rencontre qui va marquer un nouveau départ pour ces deux âmes solitaires - Synopsis Allociné.
Lang et le chien noir, une relation singulière dans western moderne
Le long-métrage plante son cadre aux portes du désert de Gobi, une région périphérique de la Chine qui sert de mise en lumière aux réalités de ces zones moins visibles, où la modernité côtoie la rudesse de la vie quotidienne. L'esthétique des plans est envoûtante et dépaysante au possible, la caméra embrassant la grandeur du vide avec une photographie juste sublime qui profite d’un grain très marqué à l’image. Juste pour ça, Black Dog nous agrippe déjà dès ses premières secondes, d'autant que la scène d'ouverture introduit avec magnificence des centaines de chiens errants galopant sur les terres arides. “L'empreinte de villes autrefois prospères grâce au pétrole m'attire. Elle a une force réaliste et symbolique qui dit un morceau d'histoire récente et témoigne de la vie de ceux qui y vivaient”, racontera le réalisateur. Des propos traduits par nos confrères d’Allociné.
Lang, chargé de capturer un lévrier noir errant, urine sur le mur que ce dernier a marqué pour le faire sortir de sa cachette, et force une rencontre entre âmes solitaires qui s’avère bientôt inspirant pour l’un comme pour l’autre, dans un contexte non dénué d’humour. Avec beaucoup de poésie, et sans être ouvertement politique (le réalisateur dira lui même "ne pas voir Black Dog comme une critique politique" : "j’ai voulu montrer la réalité telle qu’elle est"), le film offre une critique sociale subtile de la manière dont la société chinoise traite ceux qui sont considérés comme indésirables. Il utilise réellement la relation entre Lang et le chien comme une sous-couche narrative pour aborder des thèmes plus larges sur la condition humaine, qui prend une dimension particulière dans le contexte chinois où les traditions et les anciens se heurtent à la modernité qui tente de s'emparer des lieux, et où la mort s’empare progressivement de ce qui reste de façon inéluctable, à l’instar d’un cirque et d'un zoo laissés à l’abandon avec un lion en cage, et de quelques maisons défraîchies où végètent encore une poignée d'anciens qui attendent seulement que le temps passe.
Nous sommes en 2008, quand les annonces concernant les Jeux olympiques d'été de Pékin retentissent dans tout le pays, suscitant une grande fierté. Avec une lenteur planante, les quartiers sont progressivement rasés pour laisser la place à de nouveaux projets de plan économique. La patrouille chargée d'éliminer les chiens errants symbolise complètement cette volonté de contrôler et de normaliser l'environnement en mutation, tandis que la relation entre Lang et le chien errant peut être interprétée comme une forme de résistance à cette normalisation, une affirmation de la liberté et de l'individualité.

Une jolie exploration de la nature humaine et des liens invisibles
La performance de l’acteur principal, Eddie Peng (Are You Lonesome Tonight ?), est d’une justesse et d’une subtilité très touchante. Dans un mutisme évocateur, il sillonne le désert seul sur sa vieille moto, en quête d’un but, vacillant au gré des notes d’une guitare lancinante qui enveloppe le cheminement du personnage dans une ambiance de western un peu rock et juste délicieuse. C’est le compositeur anglo-australien Breton Vivian (Yellowstone) qui signe la musique du film chinois. Et sans aucune once d’ironie, le chien n’est pas en reste et livre une prestation impressionnante, qui aurait bien mérité le Palme Dog 2024 - un prix attribué chaque année au Festival de Cannes, récompensant la meilleure performance canine dans un film présenté pendant le festival - finalement décerné à Kodi, un autre chien qui joue dans le film Le Procès du chien réalisé par Laetitia Dosch.
« Le chien n'est pas seulement un animal de compagnie. Il agit comme un personnage - une extension de l'âme solitaire de Lang » - Hu Guan pour The Guardian.
Au-delà de la critique sociale, Black Dog est aussi une exploration de la nature humaine, de nos capacités de compassion et de notre besoin de connexion. La relation entre Lang et le chien noir est un très joli témoignage de la force des liens qui peuvent se créer entre les êtres vivants, en faisant abstraction des préjugés. Et si elle ne reste qu’un prétexte pour servir à des messages plus profonds, elle saura tout de même titiller votre sensibilité dans ce film profondément intimiste.