L.A. Noire a été une tentative de révolutionner l’industrie du jeu vidéo par son ambition cinématographique. Développé par Team Bondi et publié par Rockstar Games, le jeu promettait une immersion hors du commun dans le Los Angeles corrompu de 1947.
Dans la grande histoire de l’éditeur Rockstar, hormis Grand Theft Auto, plusieurs licences ont redéfini les standards de l'industrie du jeu vidéo, ou du moins, ont essayé de le faire. C’est le cas de L.A. Noire, présentée à sa sortie comme une œuvre vidéoludique unique, un format révolutionnaire par son ambition cinématographique et son approche novatrice du genre noir. Développé par Team Bondi et publié par Rockstar Games, le jeu promettait une immersion hors du commun dans le Los Angeles corrompu de 1947, plaçant le joueur dans la peau du détective Cole Phelps, véritable archétype des séries américaines qui évolue dans une métropole en plein essor, gangrenée par la corruption, le trafic de drogue et une criminalité galopante. Le cadre parfait pour tout amoureux du genre, ce dernier trouvant à disposition un terrain de jeu passionnant où l’on peut résoudre une série d’affaires allant des incendies criminels aux meurtres sanglants. Le gameplay, lui, repose sur un mélange d'exploration de scènes de crime à la recherche d'indices, de poursuites et d'interrogatoires où la capacité à déceler les mensonges grâce aux expressions faciales est primordiale. Bref, un thriller policier interactif et hautement cinématographique, où les choix du joueur et sa perspicacité influencent le déroulement des enquêtes. Phelps est interprété par Aaron Staton, que vous connaissez probablement mieux dans le rôle de Ken Cosgrove dans Mad Men. Il décrira le jeu comme « L.A. Confidential qui rencontre Grand Theft Auto ». Mais il s’inspire aussi d’une flopée de références : La Griffe du passé, Le Grand Sommeil, Le Charlatan, Le Grand Chantage, La Maison de bambou, Quand la ville dort, pour n'en citer que quelques-uns.
À la grande époque de l'âge d'or hollywoodien, l'inspecteur Cole Phelps du L.A.P.D. se retrouve propulsé dans une métropole qui sort littéralement de terre grâce à la prospérité d'après-guerre. La corruption est endémique, les trafics de drogue florissants et le taux de criminalité est à son paroxysme - description officielle du jeu par Rockstar

Une ambition folle pour un projet très couteux
La genèse de L.A. Noire est intrinsèquement liée à la fondation du studio australien Team Bondi par Brendan McNamara. Cet ancien membre de Team Soho, studio londonien connu pour le jeu The Getaway, espère bien concrétiser sa vision audacieuse dans le domaine du jeu vidéo. L.A. Noire mettrait l'accent sur les performances des acteurs d'une manière inédite, McNamara nourrissant l'ambition de mélanger l'interactivité propre au jeu vidéo avec la cinématographie des films noirs et des séries télévisées. Dès le départ, une importance capitale est donc accordée à la technologie MotionScan pour atteindre un niveau de réalisme facial sans précédent. « Lorsque nous avons conçu L.A. Noire, les technologies conventionnelles ne permettaient pas de réaliser ce que nous envisagions. Nous avons donc emprunté cette voie, et maintenant que nous disposons de ces outils, nous pouvons réaliser des jeux qui correspondent à notre vision et créer des personnages qui ne sont plus seulement de la chair à canon », racontera McNamara dans les colonnes de Forbes. Développée par la société australienne Depth Analysis, MotionScan utilise un système sophistiqué de 32 caméras HD pour enregistrer chaque nuance des expressions faciales des acteurs, qui étaient ensuite transposées en détail dans les personnages du jeu. Tout l’enjeu étant que ce réalisme serve étroitement au gameplay du jeu, les joueurs devant être capables de déceler les mensonges sur le visage des suspects lors des interrogatoires en observant attentivement les réactions et les micro-expressions.
Je pense que c'est définitivement un nouveau type de divertissement interactif. Avec MotionScan comme moteur clé de la façon dont la narration peut être racontée grâce à des performances crédibles dans les jeux vidéo, cette technologie porte la narration à un tout autre niveau jamais vu auparavant dans un jeu vidéo. Mais cela reste un jeu avec des éléments de gameplay classiques tels que des courses-poursuites en voiture et des fusillades. Nous espérons que les joueurs et les cinéphiles y trouveront leur compte - Oliver Bao, chef de la recherche et du développement, Forbes
Forcément, le déploiement de cette technologie a nécessité un volume de travail considérable. Plus de 2200 pages de script ont été filmées avec la participation de plus de 400 acteurs. Même les jeux les plus modernes paraissent bien modestes comparés à la horde d'acteurs que l'on rencontre dans L.A. Noire. Les sessions de tournage étaient intensives et ont duré 82 jours, incluant des reshoots et des prises de vues additionnelles. Aaron Staton, l'acteur qui incarnait le protagoniste Cole Phelps, a passé plus de 80 heures de tournage en MotionScan pour donner vie à son personnage. Le résultat donne lieu à des situations aussi singulières qu’amusantes, qui ont eu droit à leur lot de memes sur internet.
Hormis les personnages, on accorde aussi beaucoup de soin à l’authenticité du cadre. Le directeur artistique Chee Kin Chan et l'artiste principal Ben Brudenell ont trié consciencieusement les archives exhaustives de photos d'actualité de l'UCLA pour en retranscrire parfaitement l’ambiance. « Une seule photo d'un restaurant en dit long », raconte M. Wood. « Ce que les hommes portaient. Comment ils servaient le café. Quels étaient les plats du jour. Si le comptoir mesure 3 mètres de long, vous pouvez estimer les dimensions du restaurant. Le cliché veut qu'une image produise mille mots. Eh bien, nous avons utilisé 180 000 photos. »
Un développement semé de péripéties
En 2003, lors de la création de Team Bondi, l'équipe de base était à peine composée de McNamara et d’une poignée d'employés transplantés de Team Soho. L'un d’entre eux décrit la situation initiale comme « assez difficile, mais bonne ». Et d’ajouter : « Il ne semblait pas y avoir beaucoup de direction, que ce soit sur le plan technique, artistique ou général.Nous avions un directeur technique, mais il ne parlait pas vraiment aux gens et ne donnait pas de directives.Nous étions principalement livrés à nous-mêmes, avec des tâches de très haut niveau et des évaluations hebdomadaires. À partir de là, nous nous sommes développés assez rapidement, pour atteindre une trentaine de personnes au cours de la première année ». Le développement de L.A. Noire a été marqué par une série de péripéties, incluant notamment un changement d'éditeur significatif et de nombreux reports de sa date de sortie initiale. L’anecdote est devenue méconnue au fil des ans, mais le projet a initialement vu le jour grâce à un partenariat avec Sony Computer Entertainment America qui prendra fin en 2006, lorsque Rockstar Games reprend les droits de publication. Malgré ce changement de partenaire, les premières étapes du développement étaient déjà lancées, avec une équipe grandissante et déjà de premières tentatives pour donner vie à la vision de McNamara, qui séduit très vite le public. La reconnaissance des aspects cinématographiques de L.A. Noire a été marquée par son introduction au Festival du film de Tribeca, en 2011. C'était la première fois qu'un jeu vidéo était présenté à cet événément ; une belle manière, déjà, de souligner la volonté du jeu de brouiller les frontières entre le jeune média et le cinéma.
Avant tout, nous sommes des créateurs de jeux vidéo et nous avons développé L.A. Noire d'abord comme un jeu. C'est une chose que nous n'avons jamais perdue de vue, quels que soient les aspects cinématographiques et filmiques de l'expérience du public. Ce que nous ajoutons au mélange, c'est la cinématographie d'un film et la caractérisation et le développement des personnages d'une série télévisée- Brendan McNamara

D’abord prévu pour l'année fiscale 2008, le jeu a ensuite été repoussé à l'année fiscale 2009, puis à septembre 2010, et finalement, il est sorti en 2011. La complexité de la technologie MotionScan, qui était nouvelle et nécessitait un développement et une intégration importants, a sans aucun doute contribué aux délais, en outre de l'inexpérience d'une grande partie de l'équipe de Team Bondi, dont L.A. Noire était le premier projet. Et bien sûr, le changement d'éditeur a probablement entraîné des remaniements supplémentaires, et des ajustements dans la vision et la direction du projet. Rockstar Games aurait même entrepris de revamper et de porter le jeu après avoir repris le projet. Face à ces défis, Rockstar Games a consenti à un investissement financier colossal pour mener le projet à terme, dépensant plus que Sony dans cet effort. Et puis, dans les coulisses, le travail est rigoureux, mais semble-t-il pénible. Dès 2010, des rumeurs et des fuites anonymes commencent à circuler sur les difficultés de développement. Une source anonyme, sur ce qui était jadis Twitter, commence à divulguer des rumeurs entendues de bouche à oreille concernant le studio basé à Sydney. Les tweets affirment que le fondateur du studio, Brendan McNamara, a dépensé "des dizaines de millions" en technologie propriétaire en une seule année. Sony aurait abandonné le projet en 2005, lorsque le studio "avait largement dépassé le budget prévu par SCEA pour le jeu". Une situation qui aurait "plongé le studio dans le désarroi.”
Le développement ambitieux de L.A. Noire a un coût humain élevé, marqué par des témoignages accablants publiés au compte-gouttes dans les médias, et qui peignent un tableau sombre de culture du crunch et de mauvaise gestion. Un rapport d'IGN de 2011 cite un anonyme qualifiant le développement du jeu de "broyeur de cadavres fonctionnant 24h/24 et 7j/7". De nombreux anciens employés rapportent avoir été soumis à des heures supplémentaires non rémunérées et à des semaines de travail excédant fréquemment les 100 heures. L’un d’entre eux confie même avoir été réprimandé pour 15 minutes de retard après avoir quitté le travail à 3 heures du matin. Fatalement, les conditions de travail entraînent un turn-over extrêmement élevé : on estime que plus de 100 personnes auraient quitté le studio pendant les sept années de développement du jeu. Une situation alarmante qui conduit même une entreprise de team-building nommée Leading Teams a être invitée en 2007 dans les locaux pour tenter de résoudre les conflits internes.
Les témoins blâment McNamara, apparemment connu pour contourner les chefs d'équipe et demander des modifications du jeu au personnel à sa guise. Certains le décrivent comme "la personne la plus colérique" qu'ils aient jamais rencontrée. L’intéressé répond que : « Nous créons un type de jeu qui n'a jamais été fait auparavant. Nous le faisons avec de nouvelles personnes et de nouvelles technologies. Les gens qui sont déterminés à consacrer autant d'heures qu'ils jugent nécessaires». Dans les colonnes de Vice, on compare les citations de McNamara sur la production aux révélations suffisantes d'un chef de police noir corrompu, expliquant exactement « comment fonctionne le monde à un détective privé qui a juste assez d'indices pour savoir que le monde se désagrège. »
On s'attend un peu bizarrement à ce que l'on puisse faire ce genre de choses sans se tuer à la tâche ; or, ce n'est pas le cas - McNamara

Un héritage paradoxal
L.A. Noire a finalement été mis en vente en mai 2011 sur PlayStation 3 et Xbox 360. Il rencontre une réception critique généralement positive, laquelle salue l'innovation de son gameplay d'interrogation, rendu possible grâce à la technologie MotionScan, qui, malgré la promesse de détails exceptionnels, ne rend pas les enquêtes particulièrement plus aisées. Aaron Staton, l'acteur qui interprétait Cole Phelps, a lui-même avoué avoir eu des difficultés à réussir les interrogatoires dans le jeu.
J'ai joué à l'original quand il est sorti. En fait, j'étais vraiment nul à ce jeu. Je me suis assis avec ma femme et j'y ai joué, et elle m'a dit : 'Je n'arrive pas à croire que tu n'es pas meilleur à ce jeu. Tu ne sais pas lequel choisir ? Tu n'as pas passé des mois à faire ça ?'. Et elle n'a pas tort. Je devrais être meilleur.
Sur le plan commercial, L.A. Noire connaît un succès notable, avec environ 7,5 millions d'exemplaires vendus en six ans. Mais le jeu n'était pas exempt de critiques. Son rythme parfois lent, privilégiant l'enquête et l'interrogation à l'action effrénée, rebute certains joueurs. Malgré le grand souci du détail historique, le jeu comporte aussi quelques anachronismes, comme la présence de véhicules et de musiques de 1948 et 1949 alors que l'action se déroule en 1947, ou l'apparition d'un code ZIP qui n'a été introduit qu'en 1963 aux États-Unis. Et puis, le monde ouvert semble sous-exploité, offrant une vaste carte avec relativement peu d'activités annexes en dehors des enquêtes principales et de quelques "crimes de rue". « Il est étrange qu'ils aient créé une version minutieusement exacte de Los Angeles dans les années 1940, mais qu'ils l'aient rendue si stérile qu'il n'y a pratiquement aucune raison de l'explorer en détail », écrira à ce propos GQ. L'histoire de L.A. Noire est finalement marquée par un héritage paradoxal, oscillant entre les promesses d'une innovation marquante et la désillusion consécutive aux difficultés de son développement et au destin de son studio, fermé peu après la sortie du jeu en 2011. La technologie MotionScan n’aura quant à elle pas connu une adoption à grande échelle dans l'industrie. Pourtant, L.A. Noire laisse une marque indéniable dans sa direction artistique et sa reconstitution méticuleuse du Los Angeles des années 40, au point de tout de même avoir une certaine influence sur d'autres jeux explorant des mécaniques d'interrogation. Il est rare de jouer à un jeu où les conséquences sont réellement importantes. Malgré tous ses défauts, L.A. Noire pourrait bien être le meilleur jeu de détective jamais réalisé.