Cold Fear : L'échec d'un jeu d'horreur français face à Resident Evil 20 ans après sa sortie

Titre original : Il y a 20 ans, ce jeu vidéo horrifique français voulait couler Resident Evil, mais il a bu la tasse

Au début de l’année 2005, la petite équipe parisienne de Darkworks sort le deuxième jeu vidéo de sa jeune histoire. Comme le précédent, il est pensé pour faire peur. Contrairement à leur première production, il s’agit d’une nouvelle licence. Adieu Edward Carnby d’Alone in the Dark : The New Nightmare, place à Tom Hansen, héros de Cold Fear. L’histoire d’un garde-côte qui va tomber sur plus fort que lui.

Sommaire

  • Darkworks, le spécialiste de l’horreur made in France
  • Au sommet de la vague
  • Resident Evil 4 ever
  • Touché, coulé

Darkworks, le spécialiste de l’horreur made in France

Lorsque Bruno Bonnell, cofondateur d’Infogrames, fait confiance à un studio de développement inconnu au bataillon pour continuer les aventures d’Edward Carnby, c’est pour pour donner sa chance à une petite équipe qui a réussi à l'impressionner avec le prototype d'un jeu vidéo qu'elle aimerait produire. Ce dernier se déroule sur un bateau dans une ambiance steampunk. Créé par Antoine Villette, Guillaume Gouraud et David Rochedieu en 1998, Darkworks a, à la fin des années 1990, comme unique projet de ressusciter la licence Alone in the Dark dans un monde où Resident Evil – qui a pourtant copié pas mal d’idées au soft imaginé par Frédérick Raynal – est devenu l’ultime référence du survival-horror. Après un développement compliqué, The New Nightmare débarque au mois de mai 2001. Même si le quatrième volet d’Alone in the Dark est considéré comme un succès, il n’a ni éclipsé Resident Evil, ni fait de Darkworks un studio incontournable dans la sphère vidéoludique. Pas grave, le groupe se dit qu’il a encore du temps pour s’imposer dans le game.

Il y a 20 ans, ce jeu vidéo horrifique français voulait couler Resident Evil, mais il a bu la tasseIl y a 20 ans, ce jeu vidéo horrifique français voulait couler Resident Evil, mais il a bu la tasse

Quand Antoine Villette et ses équipes apprennent que Bruno Bonnell va se tourner vers un autre studio pour développer le cinquième épisode d’Alone in the Dark, ils décident de transformer le fameux prototype sur lequel ils ont initialement travaillé. Ce qui était imaginé à la base comme un survival-horror en 3D précalculée devient petit à petit Cold Fear, un jeu d'horreur édité par Ubisoft mettant en scène un certain Tom Hansen, garde-côte sur la mer de Béring. Il arraisonne un baleinier russe en perdition alors que la tempête gronde. À bord, il découvre des créatures cauchemardesques. Que ce soit dans l’ambiance visuelle, dans le son, dans la narration… le titre classé 18+ impressionne dès ses premiers instants. Cette fois-ci, c’est la bonne pour Darkworks ?

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Au sommet de la vague

Afin que le résultat soit à la hauteur des désirs de l’entreprise, Darkworks met au point un moteur de jeu spécialement conçu pour retranscrire la houle incessante de la mer agitée. Le “Darkwave editor” permet effectivement de gérer efficacement le déplacement du navire à la fois sur un axe vertical (le roulis) et sur un axe horizontal (le tangage) pendant que les objets bougent grâce au moteur physique, ce qui est extrêmement ambitieux pour l’époque. Le défi se complexifie lorsqu’il faut trouver un moyen d’animer les personnages de manière réaliste par rapport à l’angle du bateau. Darkworks conçoit 250 animations pour Tom Hansen et 150 pour les adversaires (sans compter les animations de compensations), soit environ 9 fois plus que ce que l’on voit dans les jeux à la troisième personne de l’époque. Le plus fou, c’est que tout est rendu en temps réel, et même les corps des monstres abattus sont affectés par les mouvements de roulis.

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Contrairement à leur précédente production qui utilisait seulement des plans fixes, Cold Fear laisse le choix de vivre l’aventure avec des caméras fixes ou via une caméra épaule. Le fait que l’univers soit en mouvement constant a par ailleurs obligé le studio à mettre au point un système de contrôle de l'inertie de la caméra afin que cette dernière ne passe pas à travers le décor qui tangue. Les bonnes idées ne s’arrêtent pas là : Tom peut s’accrocher à des éléments du décor avec sa main gauche afin de ne pas glisser quand la houle est trop forte, tandis que sa main droite vise les adversaires. Une jauge de résistance est également de la partie, empêchant le joueur d’accomplir certaines actions – comme fuir ou se maintenir à un rebord – si cette dernière est épuisée. Enfin, le survival-horror de Darkworks tente ce qu’aucun Resident Evil n’a osé faire avant lui : il supprime l’inventaire ! Cela signifie que les soins s’utilisent dès qu’on les ramasse, à l’instar des munitions, et qu’il n’y a pas d’énigmes basées sur des objets à fusionner puis à placer quelque part. Oui, Cold Fear vise les sensations avant tout... peut-être un peu trop, puisqu'il n'y a pas de map pour s'y retrouver.

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Resident Evil 4 ever

Malheureusement, il arrive parfois que ni les meilleures idées du monde ni les trouvailles originales ne fassent le poids face un concurrent extrêmement solide sur ses appuis, du genre à ne jamais glisser, même en pleine tempête. Cold Fear est sorti à un moment très particulier dans l’histoire du survival-horror/jeu d’action à la troisième personne : en mai 2005, cela fait 4 mois que Resident Evil 4 a débarqué sur GameCube. Autrement dit, la production de Darkworks arrive à bon port seulement quelques semaines après l’arrivée du jeu conçu par Shinji Mikami qui a révolutionné le TPS horrifique, récompensé d’un magistral 96/100 sur Metacritic.

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Forcément, du côté de la presse spécialisée, les comparaisons égratignent le soft de Darkworks. “On pourrait le décrire comme un ‘Resident Evil 4’ allégé” lit-on du côté de Cheat Code Central. “Même s'il n'est pas aussi excitant que Resident Evil, il fait bonne figure”, écrit AceGamez. “Les chanceux qui possèdent une GameCube ont leur précieux Resident Evil 4, mais les autres systèmes n'ont pas été complètement exclus de la boucle du survival-horror”, s’amuse IGN, soulignant qu’Ubisoft n’a étrangement pas voulu porter son titre sur le cube de Nintendo.

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Sur Metracritic, la note de Cold Fear oscille entre 66/100 et 71/100 en fonction du support. Ce qui lui est principalement reproché, c’est sa durée de vie minuscule d’à peine 7 heures de jeu. En outre, son système de sauvegarde, basé sur des checkpoints arbitraires, engendre un peu de frustration. Son scénario très conventionnel, en plus de mécaniques vues à droite et gauche (finir les ennemis avec son pied comme dans Silent Hill, manœuvres défensives comme avec le couteau du remake de Resident Evil, les exocels qui rappellent les monstres de The Thing, etc.) l’empêchent d’avoir une vraie personnalité. “Si l'histoire était bien scénarisée, avec des personnages formidables (…), nous pardonnerions probablement beaucoup de problèmes mineurs”, écrit Eurogame, avant de conclure : “la seule chose qui vous retient est la lourdeur du système de contrôle et la tendance irritante du jeu à repeupler de manière incohérente les zones précédemment nettoyées”.

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Touché, coulé

Si, dans le jeu de Darkworks, les vagues reviennent sans cesse, ce ne sera pas le cas de Cold Fear. À peine sorti, le soft tombe immédiatement dans l’oubli. Au mois de février 2006, soit un an après sa sortie, seulement 70 000 exemplaires ont trouvé preneur aux États-Unis, en cumulant toutes les plateformes où il est sorti. Un score extrêmement faible qui fera définitivement disparaître la franchise sous les eaux, au point que même son adaptation cinématographique, un temps envisagée du côté d’Avatar Films et de Sekretagent Productions, sera annulée. Malgré ses indéniables qualités, son approche intéressante de la peur en haute mer et le morceau de Marilyn Manson qui figure dans sa BO (Use Your Fist and Not Your Mouth), Cold Fear n’a pas provoqué le raz-de-marée escompté. Darkworks enchaînera les galères et les annulations de projet jusqu’en 2010 où Ubisoft leur retirera la production de I am Alive pour la transférer à Ubisoft Shangai. Suite à ces déboires, le studio coulera en 2011.

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Quant à Resident Evil, le jeu de Capcom essaiera à son tour de renvoyer son casting en mer, en 2012, avec l’épisode Revelations. 11 ans après Resident Evil Gaiden, 7 ans après Cold Fear, cette excursion maritime sourira finalement au géant japonais qui a décidément le vent dans le dos. Au moment où nous écrivons ces lignes, Resident Evil Revelations s’est vendu à plus de 5 millions d’exemplaires en comptant tous ses portages.