Le monde du jeu vidéo continue d’évoluer et avec lui, les termes qui décrivent ses business models, ses genres, ses mécaniques, changent également. Nous avons beaucoup entendu parler des jeux service qui deviennent des plateformes à part entière. Alerte ! Ils auraient évolué en “trous noir” qui aspireraient et recracheraient leurs innombrables concurrents.
Sommaire
- Le jeu service qui se veut faire aussi gros que le boeuf
- Des franchises plus puissantes que les consoles
- Comme à la maison
Le jeu service qui se veut faire aussi gros que le boeuf
Le jeu service a explosé chez nous dans le courant des années 2010. Le succès de la méthode Tencent a convaincu les géants du jeu vidéo qu’il fallait faire évoluer les softs pour que ces derniers ne soient plus considérés comme des produits, mais comme des services… notamment en les bourrant de contenus additionnels délivrés au compte-goutte. C’est en se basant sur ces modèles que Minecraft, GTA (avec GTA Online) ou encore FIFA ont fait gagner des centaines de millions, voire des milliards de dollars, à leurs éditeurs respectifs. En 2017, c’est Fortnite Battle Royale qui s’est rapidement imposé comme un représentant de choc du jeu service. Les mastodontes de l’industrie en étaient persuadés : ils venaient de trouver la poule aux œufs d’or.

Comme cela arrive régulièrement lorsqu’un modèle économique promettant une rentabilité folle s’initie dans une industrie, les dérives interviennent. En jouant avec le feu, certains projets ont rencontré des déconvenues, à l’image de Star Wars : Battlefront II. Les frasques d’Anthem et de Battlefield 2042 ont même laissé planer le doute quant à l'essoufflement possible du modèle. Pourtant, durant ces dernières années, non seulement les jeux service n’ont pas disparu, mais ils se sont renforcés. Petit à petit, plus que de service, les professionnels du jeu vidéo ont commencé à évoquer des jeux plateforme. Cité à l’époque du développement de Halo Infinite, rappelé pendant l’annonce d’Assassin’s Creed Infinity et mis en avant lors du lancement du dernier Forza Motorsport, le “jeu en tant que plateforme” démontrait les réelles ambitions des mastodontes de l’industrie. Celles de laisser les joueurs se perdre dans des softs tentaculaires, mis à jour régulièrement, accessibles du mobile à la console de jeux et permettant d’accéder à des expériences innombrables.

Des franchises plus puissantes que les consoles
L’année dernière, Matt Booty, le monsieur jeux de Xbox, déclarait que les titres tels que Roblox ou Fortnite pouvaient être plus importants que n'importe quelle plateforme et que ça avait vraiment changé la façon dont Xbox envisageait les choses. Cette phrase, qui pouvait sembler anodine, est lourde de sens et explique à elle seule la stratégie plus multiplateforme prise par Microsoft. “Les responsables de Xbox reconnaissent publiquement que les grands jeux comme Roblox ou Fortnite ne sont pas seulement joués sur Xbox ou PlayStation, mais qu'ils sont aussi des concurrents aux plateformes elles-mêmes”, soulignait Matt Piscatella (analyste chez Circana) sur X. En filigrane, le constructeur américain estime que les batailles de demain se joueront plus sur les jeux service devenus des plateformes accueillant des millions de joueurs, plutôt que sur les consoles.

Les chiffres ont d’ailleurs tendance à lui donner raison. Roblox compte aujourd'hui plus d'heures d'engagement mensuel que toutes les consoles ou plateformes dédiées aux jeux. D'après les statistiques enregistrées sur la plateforme de Valve en 2024, cinq franchises fortes, Call of Duty, Counter Strike, Fortnite, League of Legends, Minecraft, ont représenté en moyenne 30 % du temps de jeu pendant quatre années consécutives. Sur PlayStation et Xbox, avec Call of Duty, FIFA/EA FC, Fortnite, GTA et NBA, la moyenne est de 43 %. Comme le précise l’étude d’Epyllion (accessible ici), en excluant les sorties annuelles mais en incluant les suites, seulement 6,5 % du temps de jeu (sur PC, Xbox et PlayStation) en 2023 fut consacré à de nouvelles productions.

Comme à la maison
Dans son rapport intitulé “l’état du jeu vidéo en 2025”, Matthew Ball définit ce qu’il appelle les jeux “trous noirs”, à savoir un phénomène par lequel une franchise massive exerce une telle emprise sur les joueurs qu'il est pratiquement impossible pour une nouvelle production de les en détacher. Qui sont-ils ? Call of Duty, Fortnite, League of Legends, Valorant, Minecraft, FIFA, GTA, Roblox, etc. Qui menacent-ils ? Tous les jeux vidéo qui cherchent désespérément à s’imposer un tant soit peu sur la durée. Cela va bien évidemment du jeu service free-to-play au AAA solo premium. Les chiffres de l’étude montrent que les jeux Spider-Man se vendent de moins, alors que le budget pour les concevoir ne cesse de grimper. Dans un monde où le nombre de joueurs stagne, les jeux “trous noirs” font des dégâts : leurs infrastructures huilées, leur modèle de rentabilité éprouvé et leur notoriété indéboulonnable font qu’ils ne laissent, parfois, que des miettes aux autres.

Voir Call of Duty : Black Ops 6 sur PS5 sur Fnac
Face aux coûts engendrés, les géants préfèrent enterrer leurs projets rapidement plutôt que de tenter des améliorations et espérer un nouveau départ. C’est le cas de Sony qui a annulé un certain nombre de jeux service avant leur sortie, ou d’Ubisoft qui a déconnecté hâtivement Hyper Scape, Roller Champions ou encore XDefiant. Car rivaliser avec un jeu “trou noir” coûte cher, très cher. Comme l’écrit Matthew Ball dans son analyse, il faut que les développeurs trouvent les bons arguments pour que des joueurs qui se sentent comme à la maison sur un autre titre, qui ont leurs amis, leurs habitudes, leur contenu généré, veulent aller voir ailleurs et ainsi mettre de côté tout le contenu acheté (personnages, tenues, objets) et tous les liens sociaux construits. En outre, les jeux service proposent tous des récompenses journalières visant à inciter les joueurs à revenir régulièrement. Une mécanique qui assure aux titres bien installés le retour de leurs ouailles même si elles sont tentées d’aller voir ailleurs, le temps d’une – courte – expérience.