Retour sur le projet 'Fortress' : Comment un jeu Final Fantasy annulé aurait pu transformer la saga

Titre original : Il y a plus de dix ans, ce jeu vidéo Final Fantasy a été annulé : il était si ambitieux qu’il aurait pu changer le destin de la saga, les fans en auraient été fous !

Il y a une plus d’une décennie, Square Enix était à deux doigts de prendre une décision folle : confier un jeu Final Fantasy… à un studio occidental. Malheureusement, ce projet a connu un destin tragique, si bien qu’il ne reste que quelques vestiges de son existence sur la toile ! Science-fiction, space opera, exploration de planètes, fluidité exceptionnelle grâce à un moteur de compétition… Ce projet aurait pu transformer le visage de Final Fantasy et son potentiel aurait pu rendre fous les fans de la licence.

Il y a quelques semaines, la licence Final Fantasy célébrait le lancement du second volet de la trilogie remake de Final Fantasy VII, à savoir Rebirth, sur PC. Moins d’un an après le lancement du jeu, en exclusivité sur PS5, Cloud et sa bande s’en vont faire de l'œil à un autre public. Quelque temps avant cet épisode, c’est un autre opus important de la saga qui a entrepris ce même voyage : Final Fantasy XVI. Pour le moment, il semblerait que Rebirth s’en soit mieux sorti sur ce support mais, dans l’ensemble, les chiffres de ventes de la licence ne sont pas aussi hauts que Square Enix l'aurait espéré. Avec le recul, l’iconique franchise de Squaresoft ne semble plus avoir le prestige d’antan. Il faut dire que les difficultés sont bien présentes, et ça ne date pas d’hier.

Il y a plus de dix ans, ce jeu vidéo Final Fantasy a été annulé : il était si ambitieux qu’il aurait pu changer le destin de la saga, les fans en auraient été fous !

Tandis que le virage de la génération PS3/Xbox 360 s’est avéré compliqué avec, d’une part, Final Fantasy XIII et, d’autre part, Final Fantasy Versus XIII (devenu Final Fantasy XV), la société a voulu rectifier le tir avec une marque forte (en l’occurrence, la trilogie remake de FF7) et avec un épisode lorgnant davantage sur la dark fantasy et affichant un gameplay plus orienté vers l’action. Bref, on est au mitan des années 2020 et la franchise Square Enix souffle encore le chaud et le froid, mais elle garde le sourire, en partie grâce à la résurrection de Final Fantasy XIV qui revient pourtant de loin… Le destin de Final Fantasy aurait-il pu être différent de celui que la licence connaît actuellement ? Aurait-il pu y avoir, dans son histoire, ne serait-ce qu’un virage inattendu pour rebattre les cartes de la saga ? Oui, il y en a bien un, et ça aurait pu être un énorme chamboulement !


Une « Fortress » qui s’écoule comme un château de cartes

Avant d’évoquer ce bouleversement - sur le papier - qui est tombé à l’eau, il faut rappeler le contexte particulier dans lequel se trouve Square Enix au moment où l’idée que l’on abordera dans cet article traversera l’esprit d’un de ses pontes. Final Fantasy XII bouscule grandement la licence, déconcerte certains fans mais s’en sort, en termes de ventes, en devenant le quatrième jeu le plus vendu de 2006 et dépassant les six millions de ventes en novembre 2009. Cette année-là, la licence accueille son treizième volet numéroté, encore plus décrié que le précédent, notamment à cause de sa linéarité, même s’il propose (à mon sens) l’un des systèmes de combat les plus ingénieux. Au bout du compte, l’épisode a trouvé son public, mais il se vend moins que son prédécesseur. En parallèle, la société s’embourbe dans le projet Fabula Nova Crystallis et le développement de Final Fantasy Versus XIII patine, tandis qu’une autre équipe se rapproche de plus en plus du lancement de Final Fantasy XIV, une création qui devra être grandement retapée pour connaître le succès dont il jouit actuellement. Bref, ce ne sont pas les meilleures années pour Square Enix et la situation aura bien du mal à s’améliorer au vu de ce qui l’attend. Final Fantasy XV, pour ne pas le citer. Alors, Yōichi Wada, président et CEO de Square Enix depuis décembre 2001, se dit qu’il est peut-être temps d’amener une vision occidentale sur la saga Final Fantasy

Il y a plus de dix ans, ce jeu vidéo Final Fantasy a été annulé : il était si ambitieux qu’il aurait pu changer le destin de la saga, les fans en auraient été fous !

En réalité, ce n’est pas la première fois qu’un tel projet a failli voir le jour… Pour cela, il faut remonter à l’époque de Final Fantasy XII. Pour faire fructifier cet univers et le monde d’Ivalice, Square Enix décide de produire un spin-off. La seule différence, c’est que la société traverse une partie du globe pour offrir cette opportunité au studio suédois Grin. Motivé par l’envie de mettre à l’épreuve un studio occidental sur l’une de ses plus grandes propriétés intellectuelles, dans l’espoir d’aboutir à un succès critique et financier majeur, une rencontre se fait durant la deuxième moitié de l’année 2008. Du côté du studio Grin, on met alors en chantier le projet « Fortress » et on s’active sur les bases du développement, notamment en optant pour un style artistique scandinave qui tranche avec les esthétiques habitudes de la licence, quand bien même il s’agit ici d’offrir une nouvelle zone au monde d’Ivalice. Au bout de quelques mois, les premiers résultats ne sont pas concluants. Dans ses retours, Square Enix demande même à ce que le style soit complètement modifié et que les influences de la saga soient plus évidentes. Le souci, c’est que Square Enix n’est pas exempt de reproches puisque de multiples sources indiquent que l’éditeur n’a pas apporté les fonds nécessaires au studio de développement. Pour progresser, le studio est obligé d’engager ses propres fonds mais, face aux moyens qui s'amenuisent, Grin se met dans le rouge. À partir de là, les licenciements s’enchaînent et les fermetures des branches européennes s’accentuent...

Il y a plus de dix ans, ce jeu vidéo Final Fantasy a été annulé : il était si ambitieux qu’il aurait pu changer le destin de la saga, les fans en auraient été fous !

Finalement, le couperet tombe : Square Enix passe en revue les étapes importantes du projet et juge que le studio Grin n’est pas en mesure d’y parvenir. Suite à ce verdict, Square Enix ne souhaite pas investir de l’argent en estimant que c’est peine perdue à ce stade et coupe court à la collaboration, signant la chute du studio Grin. Malgré cette très mauvaise expérience, l’éditeur semble convaincu qu’un studio occidental peut accomplir un tel projet, et ça tombe bien parce qu’ils ont peut-être un candidat très intéressant sous le coude : le studio Eidos Montréal qui, sous la bannière de Square Enix à cette époque (le rachat ayant été confirmé le 22 avril 2009), vient de signer une jolie réussite avec Deus Ex : Human Revolution. À une période où tout n’est pas rose pour Square Enix, ce lancement lui permet de tripler ses bénéfices prévus pour la période d’avril à septembre : il n’en faut pas plus pour que le président prenne un billet pour aller rendre visite à ses prometteurs alliés canadiens !


Un premier projet à l’ouest : Square Enix veut prendre sa revanche et retente le coup

Nous y voilà ! Environ deux ans après l’échec du projet Fortress, Square Enix décide de réitérer l’idée et sent un potentiel du côté de chez Eidos Montréal. Chez les créateurs de Deus Ex : Human Revolution, on savoure la réussite du titre, autant d’un point de vue critique que financier. Cependant, il faut désormais orienter les équipes vers un autre projet. C’est pendant sa période de vacances que le producteur du jeu, David Anfossi, couche de premières idées sur un nouveau jeu de rôle, sur la base d’une propriété intellectuelle totalement inédite, dont les influences issues de Final Fantasy sont plus qu’évidentes. Comme un coup de pouce du destin, le studio canadien reçoit la visite de Yōichi Wada, venu pour leur faire une proposition qui conviendrait parfaitement à leurs nouvelles idées de jeu vidéo. Ce qui motive le président de Square Enix, c’est qu’il n’est pas vraiment satisfait des dernières versions japonaises de Final Fantasy, notamment pour les raisons que l’on a évoquées plus haut. Pour Eidos Montréal, l’opportunité est trop belle, alors les équipes en profitent pour parler de ce nouveau RPG « influencé par Final Fantasy mais qui n’est pas un Final Fantasy ». À ce stade, le studio récolte la bénédiction de Square Enix et entame donc le chantier de « Project W » pour le mettre à l’épreuve lors d’une réunion de la plus haute importance.

Il y a plus de dix ans, ce jeu vidéo Final Fantasy a été annulé : il était si ambitieux qu’il aurait pu changer le destin de la saga, les fans en auraient été fous !

En prévision de cette étape, le studio et ses équipes passent à l’action, dans le plus grand des secrets : ils réfléchissent à la planification du jeu, esquissent de premiers artworks et établissent de premières idées de game design. De ce que l’on en sait - un article de Siliconera, publié en 2012, permettait déjà d’en cerner les contours, « Project W » avait de très grandes ambitions et souhaitait reprendre les éléments que les fans occidentaux apprécient dans la saga Final Fantasy. Présenté comme un jeu de rôle orienté science-fiction et space opera, il devait mettre en scène un héros sillonnant toute une galaxie pour retrouver un amour perdu du nom de Nova. Afin d’ajouter un peu de piment à cette romance reprenant vie, les équipes décident d’introduire un personnage supplémentaire, une mercenaire aux allures de femme fatale de 25 ans, face à laquelle le héros ne restera pas insensible, créant ainsi un triangle amoureux entre les trois protagonistes. Au-delà de mettre en scène une synergie sentimentale entre les héros, cette tension romantique devait se ressentir dans le déroulement de l’aventure, censée être divertissante et visuellement magnifique.

Il y a plus de dix ans, ce jeu vidéo Final Fantasy a été annulé : il était si ambitieux qu’il aurait pu changer le destin de la saga, les fans en auraient été fous !

Pour asséner cette claque graphique, le jeu devait reposer sur un moteur de pointe pour créer un décor composé de fractales (image ci-dessous), d'arrière-plans kaléidoscopiques et de palettes de couleurs censées sublimer le cadre spatial du périple. Aussi, comme l’ont démontré les investigations du créateur de contenu Super Bunnyhop sur le sujet, l’entreprise Weta Workshop (à l'oeuvre sur les films Le Seigneur des Anneaux) était pressentie pour collaborer avec Eidos Montréal sur les effets artistiques de ce space opera. D’ailleurs, qui dit cadre spatial, dit vaisseaux et planètes à explorer. Symbole des ambitions démesurées du studio, le jeu devait emmener les joueurs à la découverte de 40 planètes et espérait même être en mesure d’inclure, en toute fluidité, des décollages ainsi que des atterrissages interplanétaires. En soi, des promesses qui donneront du fil à retordre aux équipes de No Man’s Sky, des années plus tard ! Bien évidemment, cette grandiloquence a fini par être revue à la baisse, misant plutôt sur une planète éparpillée en morceaux flottants dans l’espace.


Une décision unanime : les anciens cadres de Final Fantasy ne veulent pas du « Project W »

Pendant des mois, les équipes posent les bases de leur projet… et s’en vont présenter l’idée devant une large assemblée de réalisateurs de Final Fantasy, réunis pour l’occasion dans les locaux japonais de Square Enix. Malheureusement, le meeting vire à la douche froide pour les équipes d’Eidos Montréal puisque l’idée est rejetée par les cadres de la société conviés à cette présentation… Il ne faut pas oublier que la franchise est une véritable institution au Japon, ce qui peut expliquer cette frilosité de la part de la société au moment de laisser des occidentaux travailler sur un titre plus ou moins proche de la saga. Malgré cette défaite, les équipes d’Eidos Montréal n’ont pas envie d’abandonner l’idée et décident de poursuivre le développement sous la forme d’une propriété intellectuelle originale, mais cette période signe, en réalité, le début de la fin pour « Project W » - W pour Western -, aussi appelé « Project Nova ». L’un des tournants autour de ce projet avorté, c’est le remplacement de Yōichi Wada par Yosuke Matsuda. Si l’un avait, en quelque sorte, donné sa bénédiction, le nouveau président est, quant à lui, bien plus intéressé par l’idée de redonner de l’élan à certaines propriétés intellectuelles japonaises de Square Enix. En lisant entre les lignes, on comprend que Square Enix a moins peur de miser sur des noms connus que sur une nouvelle IP aussi ambitieuse. Malheureusement, ce ne sont pas les seuls car Sony et Microsoft, également démarchés, préféraient eux aussi éviter les risques en misant sur des suites à Deus Ex et Tomb Raider. Résultat des courses, chez Square Enix, on met peu à peu le soutien envers le « Project W » de côté, et la relation entre Eidos Montréal et l’éditeur japonais bat de l’aile…

« Le manque de leadership, le manque de courage et le manque de communication étaient si évidents que je n'étais pas en mesure de faire mon travail correctement. Je me suis rendu compte que nos différences étaient irréconciliables et que la meilleure décision à prendre était malheureusement de se séparer. » Voilà les déclarations qui ont accompagné l’annonce du départ de Stéphane d’Astous, directeur général et président fondateur d’Eidos Montréal, en 2013. Effectivement, Eidos Montréal n’était pas vraiment ravi de ses relations avec Square Enix, tandis que l’éditeur, lui, avait désormais une image moins reluisante du studio car, malgré le succès de Deus Ex : Human Revolution, cette année consacrée au projet W n’avait rien donné de concret, tandis que le reboot de la licence Thief a connu un véritable enfer de développement, renforçant l’impression d’être face à un studio improductif qui a apporté sa contribution aux pertes financières de l’éditeur. Ceci étant dit, la collaboration entre Eidos et Square Enix durant les années qui suivirent resta houleuse, notamment autour du développement de Deus Ex : Mankind Divided. Dans le lot, Eidos Montréal pointait du doigt les ordres confus de la branche londonienne de Square Enix à propos de cet opus, souhaitant d’un côté diviser le jeu pour en faire plusieurs suites et développer certaines fonctionnalités du jeu pour y inclure des microtransactions. Au bout du compte, malgré les critiques positives, le jeu a pâti de ces demandes. Bref, tout ceci pour dire que l’annulation du « Project W » est l’une des conséquences des diverses problématiques de la relation entre Eidos et Square Enix, un lien désormais rompu puisque l’éditeur a cédé ses studios occidentaux (Eidos Montréal, Crystal Dynamics, Square Enix Montréal) à l’ogre suédois Embracer. Quoi qu’il en soit, il aurait été fabuleux de voir la vision d’Eidos se concrétiser, rien que pour connaître le destin de cette saga, ainsi que son impact sur la saga Final Fantasy. Malheureusement, on raconte que l’ensemble des artworks et du matériel connexe a été détruit… Tous ? Pas vraiment, en 2018, des concepts arts ont refait surface sur ResetEra, nous laissant rêveur et rouvrant une plaie qui avait pourtant cicatrisé.