Elon Musk et la Controverse de la Triche dans les Jeux Vidéo : Entre Image, Ego et Stratégie Politique

Titre original : Pourquoi un homme aussi puissant qu’Elon Musk triche-t-il dans les jeux vidéo ?

Bien qu’il se targue d’être un gamer hors pair, Elon Musk a été démasqué pour tricherie dans plusieurs jeux vidéo. Mais pourquoi un homme aussi puissant et influent veut-il être un dieu du jeu vidéo, quitte à tricher ?

Prononcez son nom dans la rue et vous obtiendrez deux types de réactions fondamentalement opposées : Tantôt entrepreneur visionnaire, tantôt provocateur agaçant, Elon Musk, figure de la Silicon Valley, est à la fois perçu comme un génie capable de révolutionner les secteurs clés de l'automobile et l'aérospatiale que comme un tourbillon menaçant de déclarations provocatrices et de comportements erratiques. Son rachat de Twitter a exacerbé ces tensions, alimentant les accusations de censure et de manipulation à son encontre. Mais dernièrement, c’est surtout un scandale de triche dans la sphère des jeux vidéo qui a contribué à ternir son image, révélant, selon certains, un besoin de validation et une obsession de la performance qui tranchent avec son statut de milliardaire. Car si l'affaire peut sembler anecdotique, elle révélerait en réalité de la stratégie de communication de la part Musk.

La chute d'un prétendu Dieu du gaming

Pendant des années, Musk a cultivé une image de geek passionné, n'hésitant pas à partager ses exploits sur les réseaux sociaux et aux détours d’interviews accordées à des initiés. Parmi ses exploits les plus cités, figure notamment celui d'être parmi les meilleurs joueurs mondiaux de Diablo IV, un titre que l’on sait particulièrement chronophage et exigeant. Cette posture lui a valu la sympathie d'une partie de la communauté des joueurs, qui voyait en lui un entrepreneur brillant capable de maîtriser aussi bien le monde réel que les univers virtuels. C’est donc une véritable trahison qu’ont vécu ces derniers lorsque le milliardaire a été pris la main dans le sac sur Path of Exile 2, trahi par des incohérences flagrantes entre son niveau affiché et sa maîtrise réelle du jeu. Elon Musk a reconnu publiquement avoir eu recours au "boosting", une pratique consistant à payer d'autres joueurs pour faire progresser son personnage. Une tricherie justifiée par la nécessité de "battre les joueurs asiatiques". Pour les plus anglophones d'entre vous, la dernière vidéo du Youtuber Karl Jobst retrace parfaitement l'affaire.

Mais pourquoi tricher quand on est Elon Musk ? Même les médias généralistes américains, à l’instar de New Lines Magazine, s’étonnent de l’affaire : “L'homme le plus riche du monde, l'une des personnes les plus puissantes de la nouvelle administration Trump, s'est retrouvé mêlé à des querelles en ligne avec des joueurs, dont beaucoup auraient été ses partisans naturels, alors même qu'il se préparait à vider de sa substance la bureaucratie fédérale américaine”. Pourquoi un homme aussi puissant et riche que Musk ressent-il le besoin de s'affirmer grand joueur de jeu vidéo ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées ; Elon Musk survendrait ses compétences de joueur pour nourrir son ego, cherchant à renvoyer l'image d'un "surhomme", et exploitant par ce biais le culte de la performance et de l'intelligence. Il aspirerait à être ce génie touche-à-tout, en prouvant son excellence dans tous les domaines, y compris les jeux vidéo. Un argument notamment avancé par Héloise Linossier, journaliste et membre du média Origami.

Elon Musk a toujours été très vocal vis-à-vis de ses performances dans le jeu vidéo. C'est une manière de renvoyer l'image d'un surhomme pour celui qui veut aller coloniser Mars, en faisant appel à tous les leviers virilistes autour du culte de la performance et de l'intelligence.

Elon Musk souffrirait-il aussi d’un urgent besoin de validation ? Malgré son succès, il pourrait témoigner d'un manque de reconnaissance et chercher à combler ce vide en obtenant l'approbation de la communauté des joueurs. Ou peut-être est-il doté d’un esprit de compétition exacerbé et d’une volonté de domination un poil trop ferme ; Musk lui-même a justifié sa tricherie par la nécessité discutable de "battre les joueurs asiatiques". La triche serait alors un simple moyen d'atteindre ses objectifs, sans se soucier des règles ou de l'éthique ?

Une manière de séduire un public cible

L’autre hypothèse soutenue est d'ordre politique. Ce n’est plus une surprise pour personne, les jeux vidéo représentent un marché colossal et une communauté influente, en particulier auprès des jeunes hommes. Elon Musk, partisan reconnu de Donald Trump et dans une volonté de séduire une population masculine plus jeune qui est depuis longtemps sensible à ses charmes, survendrait ses compétences de joueur. Il pourrait chercher à se rapprocher de cette audience, en se présentant comme un gamer hardcore proche de leurs préoccupations. Et quand on est pas à la hauteur de ses paroles, la triche reste alors le moyen le plus efficace d'obtenir rapidement une crédibilité auprès de cette communauté. Héloïse Linossier tisse à ce propos un parallèle avec Steve Bannon, un militant conservateur et stratège politique de l'extrême droite qui, en 2005, est chargé de trouver des financements pour une société de "gold farming", pratique qui consiste à jouer de manière professionnelle à des jeux en ligne pour accumuler des crédits virtuels, lesquels sont ensuite revendus contre de l'argent réel. Bannon, initialement ignorant du monde du jeu vidéo, réalise en explorant les forums que ce secteur recèle un vivier de jeunes hommes passionnés. "C'est une manière pour lui de dire 'Je suis comme vous', pour ensuite mieux faire passer son message", dit la journaliste. Steve Bannon avait compris le potentiel politique des gameurs, et Musk pourrait suivre une stratégie similaire.

Cela dit, Musk pourrait bien aussi projeter une image de génie génial à des électeurs encore plus âgés qui n'ont pas pu se faire une idée des jeux vidéo. Ou bien son engagement auprès de la communauté des joueurs pourrait simplement être dû au fait qu'il est perpétuellement en ligne - une fonction, en partie, de la possession de X. Pour Musk, les sentiments sur sa place publique tronquée, où il est le personnage principal, pourraient être une bonne approximation de l'opinion publique - New Lines Magazine.

Pendant la campagne présidentielle, l’homme s'est régulièrement filmé en train de jouer à bord de son jet privé, ou même dans la propriété de Donald Trump, lâchant à ce dernier que les jeux vidéo étaient en quelque sorte sa version du golf, un loisir apprécié par le président. "Je suis un garçon numérique du 21e siècle", lui confie-t-il. Keza MacDonald de The Guardian partage à son tour : “Cela convenait à ces joueurs invétérés de croire que quelqu'un qui tweete toute la journée et dirige plusieurs entreprises était aussi un joueur d'élite qui consacrait des centaines d'heures à Diablo. Cela le rendait sympathique. Cela renforçait son image d'homme le plus travailleur du monde. Mais Elon a ensuite commis l'erreur de jouer à un jeu en direct sur X, et il est très vite apparu que quelque chose n'allait pas. Il semblerait qu'Elon Musk soit un faux joueur”. Et d’appuyer que, dans son flux de mauvaises blagues, Elon Musk a aussi longtemps tweeté sur la « DEI » ("Diversity, Equity, and Inclusion" - Diversité, Équité et Inclusion) dans les jeux, une controverse fabriquée selon laquelle la gauche a infiltré les espaces de jeu sacrés afin de les ruiner avec des idées woke. “Cette rhétorique est conçue pour courtiser le genre de personnes qui ont été séduites par Gamergate il y a de nombreuses années”, conclut-elle.