Peter Molyneux : L'Ascension et la Chute d'un Visionnaire du Jeu Vidéo, Entre Génie et Bluff

Titre original : L'histoire incroyable de Peter Molyneux, l'homme qui se croyait Dieu du bluff

Nous allons aujourd’hui vous raconter l’histoire d’un homme dont la trajectoire défie toute logique, celle d’un créatif audacieux qui a su se hisser au sommet du jeu vidéo avant de sombrer dans la controverse.

Peter Molyneux est une figure incontournable du monde du jeu vidéo. Il a traversé les âges avec une vision défiant toutes les normes et avec un talent certain. Seulement voilà, derrière son génie se cache aussi une tendance irrépressible au bluff, parfois à cause d’une ambition démesurée qui l’a autant porté que desservi. Son histoire est un mélange fascinant d’ingéniosité, de promesses non tenues et d'une volonté inébranlable de repousser les limites. Peut-être un peu trop.

Sommaire

  • Un parcours débuté dans une usine de flageolets
  • Le coup de fil coup de pouce de Commodore
  • Toujours plus haut avec Bullfrog
  • Les premiers problèmes avec Lionhead Studios
  • Le bluff de trop
  • L’homme et le mythe

Un parcours débuté dans une usine de flageolets

Tout commence dans les années 1980. À cette époque, Peter Molyneux se lance en solo dans un projet de jeu vidéo avec The Entrepreneur. Ce jeu de gestion purement textuel, bien loin des standards de l’époque, ne trouve malheureusement pas son public. Malgré la création de centaines de disquettes contenant le soft et des publicités achetées dans des magazines afin de faire connaître sa création, le jeune britannique ne vend que deux exemplaires de The Entrepreneur. C’est la douche froide ! Cet échec cuisant aurait pu mettre un terme aux ambitions vidéoludiques du créateur, mais le destin en a décidé autrement. Plutôt que de se décourager, Peter Molyneux décide de se réorienter. Il fonde une entreprise appelée Taurus, spécialisée dans l’informatique et... l’exportation de conserves de flageolets vers le Moyen-Orient. Un choix surprenant, il est vrai, mais qui lui permet de rester dans le domaine de la technologie tout en payant les factures.

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Le coup de fil coup de pouce de Commodore

L’événement décisif survient lorsque la société Commodore le contacte par erreur, le confondant avec une autre entreprise au nom presque identique, Torus. Le groupe l’invite à visiter son QG pour un meeting et lui propose une place d’exposant dans un grand salon ainsi qu’une dizaine de gros PC Amiga. Tout cela gratuitement, histoire qu’il puisse développer des solutions informatiques plus facilement. Au lieu de corriger l’erreur faite par Commodore, Molyneux saisit cette opportunité tombée du ciel et accepte l’offre.

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Grâce à ce coup de poker, il obtient dix ordinateurs Amiga et ce matériel précieux lui ouvre de nouvelles perspectives. Il développe alors un logiciel, Acquisition, qui lui permet de légitimer son entreprise aux yeux de ses nouveaux partenaires. Molyneux en vend plus de 2000 exemplaires, notamment aux Etats-Unis, ce qui est encourageant. Commodore, qui s’aperçoit au bout d’un moment que l’Anglais s’est bien fichu d’eux, veut faire fermer Taurus. Mais Molyneux, avec son charme et son talent d’orateur déjà très prononcé, arrive en un coup de téléphone à calmer les esprits. Il devient alors un maillon important du marché de l’informatique britannique et ouvre une filiale de Taurus, qui s’appelle “Bullfrog”. L’objectif ? Arrêter les flageolets et aller à fond dans le jeu vidéo !

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Toujours plus haut avec Bullfrog

Armé de cette première expérience, Peter Molyneux se lance à fond dans le monde du jeu vidéo. Bullfrog Productions s’impose rapidement comme un studio incontournable des années 1990 grâce à une série de succès retentissants. Le premier est Populous, sorti en 1989. Il s’agit de ce que l’on appelle un “god game”, à savoir un soft où le joueur incarne une sorte de divinité influençant drastiquement le monde virtuel. Cette fois-ci, contrairement à The Entrepreneur, le succès est immédiat : Molyneux devient une figure incontournable du gaming.

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Bullfrog livre rapidement des titres marquants comme Theme Park, Dungeon Keeper et Magic Carpet, autant de jeux qui témoignent d’une créativité débordante. Theme Park, par exemple, introduit des mécaniques de simulation et de gestion poussées, tandis que Dungeon Keeper, lui, inverse les codes habituels en plaçant le joueur dans la peau du “méchant” devant repousser les gentils héros. Molyneux vend des copies par palettes aux quatre coins du monde et devient Vice Président d’Electronic Arts, alors numéro un du jeu vidéo, qui édite ses créations depuis ses débuts. C’est lui le patron du jeu vidéo européen. Il parle bien et donne beaucoup d’interviews. Il travaille même avec des universitaires pour améliorer ses productions.

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Néanmoins, malgré ses nombreux succès, Peter Molyneux commence à tourner en rond. Il a envie de connaître de nouveau cette sensation d’être pionnier dans quelque chose, de tout recommencer. Il démissionne alors d’Electronic Arts, persuadé que des jours meilleurs se dressent, encore, devant lui.


Les premiers problèmes avec Lionhead Studios

En 1997, Peter Molyneux quitte Bullfrog et fonde Lionhead Studios. Il veut repousser encore plus loin les limites du jeu vidéo et investit des millions dans un projet juré révolutionnaire : Black & White. Ce jeu, sorti en 2001, reprend les principes du god game tout en ajoutant une interactivité poussée et une intelligence artificielle avancée. Le concept du jeu est fascinant : le joueur incarne un dieu (bon ou mauvais) qui interagit avec des villageois et élève une créature gigantesque dotée d’une IA évolutive. Oui, Peter Molyneux a une approche innovante du game design qui fait de lui un visionnaire du jeu vidéo… Mais cette ascension fulgurante va aussi être marquée par les premiers signes d’une tendance problématique. Le créateur a une propension à exagérer les fonctionnalités de ses jeux qui sont en développement. Molyneux a du mal à contenir son enthousiasme et fait des promesses qui dépassent parfois les capacités techniques réelles des titres qu’il conçoit.

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Malgré ses qualités, Black & White prouve que Molyneux n’a pas respecté toutes ses promesses. La complexité annoncée de l’IA ne se traduit pas entièrement dans le produit final, et certains éléments prévus à l’origine sont absents. Le jeu reçoit tout de même de bonnes critiques, mais les joueurs commencent à se méfier des propos de Molyneux. Avec Fable, sorti en 2004, soit deux ans avant le rachat de Lionhead par Microsoft, l’histoire se répète. Présenté comme un jeu d’aventure où chaque action du joueur influence profondément l’univers du jeu, le soft est finalement plus limité que prévu. Molyneux, qui a assuré aux journalistes que si le joueur marchait sur une graine en pleine forêt, alors l’arbre qui devait naître à cet endroit ne pourrait jamais pousser, n'a pas inséré cette fonctionnalité dans Fable. En outre, les choix moraux sont simplifiés par rapport à ce qui était annoncé. Mois après mois, la presse commence à pointer du doigt toutes les promesses non tenues de Molyneux.

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Fable est néanmoins un nouveau succès commercial et devient une franchise phare de la Xbox. Le jeu a une direction artistique soignée, un humour omniprésent et un gameplay engageant, mais il ne correspond pas totalement au jeu d’aventure révolutionnaire initialement (sur)vendu. Le célèbre créateur devient la cible de divers journaux spécialisés qui n’hésitent plus à s’interroger sur la véracité des propos du chef d’entreprise lors des interviews. Au milieu des années 2000, l’expression “faire une molynade” commence même à circuler dans l’industrie, employée quand un développeur exprime une promesse jugée intenable.


Le bluff de trop

Après plusieurs suites de Fable, Peter Molyneux s’engage dans un projet expérimental : Project Milo. Présenté en 2009 comme une avancée majeure de l’intelligence artificielle, ce projet met en scène un enfant virtuel avec lequel le joueur peut interagir via via la caméra nouvelle génération de Microsoft, Kinect. La démo impressionne, mais très vite, des doutes émergent quant à la faisabilité du projet. En réalité, Project Milo ne verra jamais le jour, et Microsoft mettra fin à son développement. Nouvelle “molynade” aux yeux de la presse et nouvelle déception pour les joueurs.

Devenu directeur créatif de Microsoft Game Studios Europe, le papa de Dungeon Keeper voit les relations se tendre avec la firme de Redmond. Il quitte le groupe américain et fonde un nouveau studio en 2012, 22cans. C’est au sein de cette nouvelle société qu’il lance Curiosity : What’s Inside the Cube, un jeu mobile dans lequel des millions de joueurs tapotent un immense cube pour en révéler le secret, petit bloc par petit bloc, couche par couche. La promesse est énorme : le dernier joueur à briser le cube obtiendra une récompense qui “changera sa vie. En mai 2013, le vainqueur découvre son prix : il devient le dieu de Godus, le prochain jeu de Molyneux. Déjà peu prometteur à l’époque, Godus s’avère malheureusement être un échec cuisant, à la fois critique et commercial.

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Les joueurs se sentent trahis, et l’image de Molyneux en prend un sérieux coup. À partir de cet instant, le papa de Fable ne fait plus rêver personne. Il reçoit régulièrement des insultes et des menaces sur les forums et les réseaux sociaux. Conspué, il déclare n’avoir plus aucune réputation dans l’industrie, avant de se confondre en excuses auprès de ses équipes et de son public.


L’homme et le mythe

Depuis cet épisode, Peter Molyneux se fait plus discret. Son image est ternie et son nom est désormais associé à l’idée du bluff presque maladif dans le monde du jeu vidéo. Pourtant, il reste un créateur visionnaire qui a marqué l’industrie. Avec Masters of Albion, son nouveau god game en cours de développement, il espère retrouver son prestige d’antan.

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L’histoire de Peter Molyneux est donc celle d’un homme à la fois génial et roublard, dont l’ambition a souvent dépassé les réalités liées au développement. Si son nom est aujourd’hui synonyme de promesses largement exagérées, il ne faut pas oublier qu’il a aussi contribué à façonner le jeu vidéo moderne. Son parcours, fait de coups de génie et d’erreurs répétées, est définitivement fascinant. Il reste à voir si son prochain projet sera le symbole d’une rédemption… ou la confirmation d’une nouvelle désillusion.