Ces dernières années, les jeux de combat ont fait face à une popularité jusqu’alors inégalée pour le genre. Pour attirer un public toujours plus grand, les développeurs essaient de rendre leurs productions plus accessibles.
Quart de cercle avant poing
En 2009, Street Fighter IV sort sur consoles et, par la même occasion, "ressuscite" le jeu de combat. Si la mort du genre a été très largement exagérée, il est vrai qu’au début des années 2000, le versus figthing connaît une baisse de régime et fait face à des ventes en berne. Si les facteurs de ce désamour temporaire sont multiples et partiellement imputables à des difficultés à attirer une nouvelle génération de joueurs, le succès de ce quatrième épisode, dont les qualités de présentation (notamment en terme de direction artistique) étaient indéniables, ont permis au genre de revenir plus fort encore.
Depuis, le jeu de versus a très largement explosé en popularité : sur les 10 œuvres les plus vendues de l’histoire du genre, neuf ont été publiées à partir des années 2000, et sept à partir des années 2010. Pourtant, un débat parcourt la communauté des jeux de combat depuis tout ce temps : la difficulté d’entrée. En effet, ces jeux sont réputés particulièrement complexes, par leur gameplay d’abord - qui demande souvent patience et connaissance de jeu -, mais également par leurs mécaniques pures. Quarts de cercle, demi-cercles et "dragons" (avant-bas-diagonale), communément appelés "motion inputs", sont devenus des commandes aussi connues que décriées, de nombreux joueurs mettant en cause la difficulté d'exécution de telles successions de touches (sans compter qu’un combo classique demande d’entrer de multiples commandes sur des timings précis). Ajoutez à cela l’importance de la frame data, des match ups et autres anglicismes plus ou moins obscurs et vous tenez les raisons pour lesquelles beaucoup de joueurs refusent de s’investir pleinement dans un jeu de combat.

Des développeurs ont ainsi tenté différentes approches pour rendre leur jeu plus accessible. La première des solutions a été de retirer lesdits inputs. C’est notamment le choix qu’a pu faire Rising Thunder, un jeu développé par Radiant Entertainment et qui se targuait d’un système de jeu à 8 boutons, sans motion inputs mais sans perdre en profondeur de jeu. Malheureusement, le studio se fait racheter par Riot Games un an après la sortie du jeu en alpha, la firme américaine annulant Rising Thunder dans le même temps. Toutefois, avant même l’annulation, cette simplification d'inputs était loin de faire l'unanimité, de nombreux joueurs étant opposés à ce qui était vu comme un "nivellement par le bas" du jeu de combat.
Ces dernières années ont vu la montée d’une autre solution : celle du choix, notamment entre deux (ou plus) systèmes de commandes. Au moment de sa sortie en 2010, BlazBlue Continuum Shift incluait un "mode stylish" qui permettait, entre autres, d’effectuer des combos quasi automatiquement, même en matraquant sa manette. En contrepartie, les joueurs ne pouvaient pas réaliser certains combos et techniques avancées. Mais le mode stylish n'était pas vraiment viable, tant celui-ci limitait à l’extrême les commandes et les possibilités du joueur et si Arc System Works implémentera de nouveau le mode dans les futurs opus de ses séries Blazblue et Guilty Gear', avec Strive'', en 2021, Arc System Works va quelque peu changer de philosophie.
Supprimer le premier obstacle pour faciliter l’entrée
Avec Guilty Gear Strive, Arc System va abandonner le "mode stylish" et plutôt opter pour un game design entièrement conçu autour de la construction d’un jeu qui serait particulièrement abordable par le grand public. Avec un gameplay légèrement simplifié, une interface moins stylisée et plus facilement lisible, le jeu a rencontré énormément de réserve de la part des fans de la licence (qui ont déploré ce qu’ils considéraient comme une simplification à outrance d’une série réputée particulièrement technique). Toutefois, Arc System Works étant ce qu’il est, Guilty Gear Strive s’est tout de même révélé être un jeu tout à fait technique, sa simplification n’ayant pas nécessairement détruit sa profondeur ou sa complexité. On peut par exemple citer l'un des personnages DLC, Asuka R#, qui dispose de trois deck de cartes aux effets variés à la composition semi-aléatoire et que le joueur se doit de mémoriser pour maîtriser le personnage.
Si, à ses côtés, Street Fighter 6 va faire des choix similaires avec un système de jeu plus abordable et une mécanique de parry bien plus permissive que dans Street Fighter III, le jeu va surtout investir dans un tutoriel extrêmement complet. Il faut dire que depuis plusieurs années, et notamment sous l’impulsion de jeux indépendants tels que Skullgirls ou Them Fightin’ Herds, les développeurs de jeu de combat semblent avoir saisi l’importance d'un tel mode complet et exhaustif. Si certains semblent continuer à faire l’impasse sur ces nécessités (ici, Tekken 8 vient à l’esprit), Street Fighter 6 a décider de doubler ses nombreux tutoriels avec un mode solo du plus bel effet, dans lequel le joueur pourra non seulement profiter de plusieurs tutos mais également participer à de nombreux mini-jeux didactiques lui permettant d’apprendre à parer les coups, à réaliser des motions inputs ou des coups à charge.
De plus, Street Fighter 6 propose non pas deux mais trois modes de contrôles différents : Classique, Moderne et Dynamique. Le premier correspond aux contrôles habituels, le second est un mode simplifiant les commandes et l'exécution de certains coups spéciaux, et le dernier utilise l’IA pour permettre aux joueurs de sortir des combos tout en matraquant sa manette. Si le mode Dynamique reste peu utilisé étant donné qu’il n’est disponible que dans les modes de jeu solo, le mode Moderne a été particulièrement prisé par les joueurs. En effet, ce dernier s’est révélé être un bon compromis entre simplification et profondeur, permettant aux novices (ou non) d’aborder les fondamentaux du jeu sans avoir à se battre contre des motions inputs parfois complexes.

Tekken 8 reprend d’ailleurs un mode similaire avec son "Special Style", qui fonctionne fondamentalement de la même manière que le mode Moderne de Street Fighter 6, et qui a pour avantage de pouvoir être activé d’une seule pression de touche, même en plein match. Une telle option a pour avantage d’effacer la frilosité à propos des inputs et permettre aux moins habitués de se focaliser sur les fondamentaux : la gestion de l’espace, des options défensives comme offensives… Des connaissances essentielles pour tout joueur de jeu de combat et qui se transfèrent souvent d’un jeu à l’autre.
Le travail continue
Aujourd’hui, il semblerait que ces démarches portent leurs fruits puisque Guilty Gear Strive, Street Fighter 6 et Tekken 8 ont tous été des succès commerciaux, une réalité financière qui pourrait bien pousser les studios à rester dans la voie du développement de jeux plus accessibles, ce au détriment des plus puristes. Prochainement, Riot Games devrait faire son entrée dans le genre avec 2XKO, le jeu de combat dérivé de League of Legends, conçu par le studio derrière Rising Thunder.
Si les développeurs mentionnent régulièrement vouloir concevoir un jeu accessible, leur choix du "tag team" (un sous-genre du jeu de versus se jouant avec plusieurs personnages pouvant être échangés à la volée et réputé particulièrement technique) semble s’y opposer. Avec une première bêta pas nécessairement rassurante du point de vue de l’accessibilité, il semble essentiel que les développeurs de Riot puissent proposer tutoriels et mode solo aux transfuges de League of Legends s’ils souhaitent réellement attirer une audience nouvelle au jeu de combat. Si le 2XKO compte abandonner toute motion input, le retrait semble d’un intérêt discutable tant le reste du jeu s’est pour l’instant révélé presque inabordable pour un novice.

Au final, les développeurs comme les joueurs se rendent de plus en plus compte que le choix d’une seule solution n’est pas viable. Pour attirer les plus réticents aux jeux de combat, un tutoriel exhaustif, un mode histoire didactique et des modes de commandes simplifiés sont nécessaires de concert pour que l’entrée dans le genre soit la moins abrupte possible. Le futur devra déterminer si ces philosophies d’accessibilité sont compatibles avec des jeux dont la technicité et la profondeur n'est pas amoindrie.