En août 2023, le studio de développement Larian Studios a provoqué un séisme retentissant dans le monde du jeu vidéo de rôle, et même du jeu vidéo tout court, avec la sortie de Baldur’s Gate 3. Cependant, on a tendance à oublier que cette licence était en sommeil depuis très longtemps… et que ce sont trois jeunes médecins, passionnés de jeux vidéo, qui ont pavé la voie d’un tel triomphe. Comme on dit, un battement d’aile peut provoquer des raz de marées. En l’occurrence, c’est en développant des logiciels médicaux pendant un temps puis en opérant une vraie transition vers les RPG que ce trio a mis en marche une totale révolution.
Sans cette décision, Baldur’s Gate 3 ne serait peut-être pas le monument du jeu vidéo que l’on connaît
Durant notre existence, il y a parfois des questions qui nous viennent à l’esprit lorsque l’on prend des décisions importantes, notamment une : « Et si… ? » Petit à petit, cette interrogation obsédante peut nous amener à reconsidérer de nombreuses choses, voire à imaginer tout un tas de scénarios alternatifs. Au-delà d'un point de vue personnel, c’est quelque chose que l’on applique à des tas de domaines et, bien sûr, ça marche totalement sur le jeu vidéo. Et si le partenariat entre Sony et Nintendo n’avait pas été rompu et que la PlayStation n’avait pas vu le jour ? Et si le rapport de force entre Sony et Microsoft s’était inversé dans la guerre des consoles ? Et si la WiiU avait été un succès planétaire, cela aurait-il modifié les plans de Nintendo ? Tout ça pour en venir à la question derrière cet article : « Et si ces trois développeurs avaient poursuivi leur carrière initiale, est-ce qu’on aurait eu la chance de jouer au Baldur’s Gate 3 que l’on connaît tous ? » Plus que le simple « What if… », c’est surtout la puissance de l’effet papillon qui se cache derrière une simple décision professionnelle que l’on s’apprête à souligner. Pour ça, il faut remonter le temps jusqu’aux années 80… et se téléporter en plein cœur du Canada, dans l’Alberta et la ville d’Edmonton plus précisément.

Oui, car il faut rappeler une chose ! La société Larian Studios a certes chapeauté la création de Baldur’s Gate 3, or ce sont les développeurs de BioWare qui ont contribué à la naissance et au développement de la franchise avec Baldur’s Gate et son extension Tales of the Sword Coast en 1999, puis Baldur’s Gate II : Shadows of Amn l’année suivante, accompagné de son extension Throne of Bhaal. Pourtant, au tout début, durant les années 80 comme on l’indiquait, rien ne laissait présager que trois universitaires allaient, d’une part, créer des jeux vidéo et, d’autre part, conduire une révolution du RPG dont le retentissement provoquera encore des secousses en 2023 ! Vers la fin des années 80, les trois étudiants que sont Ray Muzyka, Greg Zeschuk et Augustine Yip à cette époque cirent les bancs de la faculté pour devenir… médecins ! Ce choix de carrière est si profondément ancré en qu’eux qu’ils iront jusqu’au bout de leur internat de médecine avant de se retrouver non pas pour passer leurs journées à discuter de Donjons & Dragons mais pour… révolutionner la formation des médecins en développant des outils pédagogiques bien plus sophistiqués et pratiques ! Avec, d’un côté, leurs connaissances en médecine et, de l’autre, leurs quelques compétences en programmation, acquises de manière autodidacte, le trio se lance dans un business bien éloigné du jeu vidéo.
Construire des logiciels de simulation pour médecins… avant de révolutionner le RPG
Est-ce que vous vous êtes déjà demandé d’où provenait le nom du studio BioWare ? En réalité, s’il s’écrit d’une telle manière - avec un w majuscule au milieu -, c’est parce qu’il est la contraction de deux termes. Comme l’expliquait Greg Zeschuk, la première partie fait référence au mot grec « Bio », utilisé en référence à leurs études supérieures, tandis que la seconde est un terme anglais qui peut faire référence à des objets, des équipements. Accolés, ça donne un nom qui va à l’essentiel et qui résume bien l’objectif de la société : fournir des équipements médicaux. Plus précisément, des logiciels médicaux qu’ils essaient de rendre plus graphiques et ludiques pour qu’ils soient plus agréables d’utilisation et, surtout, plus concrets, contrairement aux versions actuelles qui proposent des expériences utilisateur complexes et peu ergonomiques. Pour se démarquer, le trio s’inspire des jeux vidéo de type point’n’click et y ajoute tout un tas de multiples éléments (images, radiographies, données médicales, épreuves de QCM) afin de rendre leurs créations attrayantes et, surtout, ludiques. Ce que veut faire BioWare à travers ces logiciels, c’est d'illustrer la médecine comme quelque chose de divertissant et d’amusant, à la manière d’un jeu vidéo. Quoi qu’il en soit, à force de travail, ils sont en mesure de proposer deux logiciels à de potentiels clients : Acid-Base Physiology Simulator et Gastroenterology Patient Simulator.

Malgré ce catalogue réduit, le trio réussit à taper dans l'œil du milieu médical, aussi bien à l’échelle de l’enseignement - notamment l’université de l’Alberta - que des professionnels déjà en exercice. Certes, ils démontrent leurs talents de développement, mais, au fond d’eux, ils aspirent vraiment à faire quelque chose d’autre, de plus grand : créer de vrais jeux vidéo et pas seulement des logiciels. Sauf que pour cela, il faut beaucoup de choses, le plus essentiel étant… l’argent ! Pour faire des économies, le trio prend deux décisions : continuer leur activité médicale en travaillant à l’hôpital… et s’installer dans le sous-sol de Greg Zeschuk. Un peu comme un joli clin d’oeil à toutes ces parties de Donjons & Dragons qui ont eu lieu dans les caves de nombreuses habitations. De fil en aiguille, le trio à l’origine de BioWare recrute quelques personnes mais ce n’est pas vers le RPG que se tourne leur première création, mais plutôt vers le shooter avec Metal Hive qui deviendra, par la suite, Shattered Steel. Jusqu’à la fin des années 90, BioWare tentera de trouver un éditeur jusqu’à ce qu’ils aient l’opportunité, à partir de quelques remaniements d’une de leurs dernières démos, de travailler sur une adaptation de la licence Donjons & Dragons, en l’occurrence Baldur’s Gate. Aujourd’hui, on associe surtout le nom du studio à des créations et sagas mémorables à l’instar de Mass Effect, Neverwinter Nights, Jade Empire, Star Wars : KOTOR et, bien sûr, Dragon Age, mais il ne faut pas oublier les prémices du studio pour comprendre jusqu'où remonte sonn apport dans l'héritage de Baldur's Gate.

À côté du triomphe de Baldur's Gate 3, un diagnostic préoccupant pour BioWare et Dragon Age
Après ça, pendant de nombreuses années, la franchise Baldur’s Gate est restée en sommeil car la bonne opportunité n’avait jamais été trouvée, jusqu’au jour où Larian Studios a commencé à s’y intéresser fortement. Malheureusement, l’éditeur Wizards of the Coast n’étaient pas totalement convaincu par le pedigree de studio, et ce malgré la récente sortie de Divinity Original Sin et l’accueil critique qui lui a été réservé. Ce n’est qu’après la sortie du second volet que l’éditeur a reconsidéré l’offre de Larian Studios. La suite, on la connaît : le studio belge a connu le succès et la gloire avec Baldur’s Gate 3, décrochant des records de ventes et une multitude de récompenses. Malheureusement, la situation n’est pas aussi joyeuse du côté de BioWare. Il y a quelques jours, le patron d’Electronic Arts, actuel éditeur des productions du studio, a pris la parole pour revenir sur, selon lui, l’une des erreurs de Dragon Age : The Veilguard. Il expliquait, entre autres, que l’échec du jeu - EA avait estimé que les scores seraient 50% supérieur à ceux actuels (1,5 millions de ventes) - était en partie à cause de l’absence de composantes multijoueurs qui auraient incité les joueurs à partager leur expérience… ou à mettre la main au portefeuille en pensant son modèle économique autour de cette fonctionnalité. Encore une fois, l’éditeur se fait remarquer pour enfoncer les jeux solos auxquels ils avaient pourtant montrer son attachement, peu après un tollé planétaire à la suite de messages moqueurs sur les réseaux sociaux en 2022.

Toutefois, dans l’océan des revenus générés par l’éditeur, ces derniers ne pèsent pas bien lourd… Lors des douze derniers mois, ils n’ont représenté que 26% des bénéfices de la société, le reste étant réalisé par les jeux-service. Quoi qu’il en soit, ce commentaire, plutôt malvenu au vu du contexte, n’a pas plu à certains anciens développeurs de BioWare. Irrité, David Gaider, scénariste principal du studio entre 1999 et 2016, s’est permis d'adresser un conseil à Electronic Arts en déclarant qu’au lieu de taper sur un jeu et une licence « qui s’est suffisamment bien vendue à son apogée pour les rendre heureux », ils devraient plutôt « suivre l’exemple de Larian et doubler la mise » parce que le public est toujours présent et prêt à soutenir un titre de cette trempe. Malgré la révolution que BioWare a su créer à partir de trois jeunes médécins passionnés de jeux de rôle, entre la mise en chantier de la franchise Baldur’s Gate, pavant la voie à Larian, et l’édification d’une saga de RPG marquante malgré ses défauts qui s’est vendue à plus de 20 millions d’exemplaires, il est désormais difficile de connaître le destin de la saga post-The Veilguard. Avec tous ces chamboulements médiatiques - on peut également citer les nombreux départs et licenciements de ces dernières semaines voire années -, les rangs de BioWare ne sont plus vraiment les mêmes. Et si il y avait déjà une sacrée pression sur les épaules du quatrième volet de la saga Dragon Age, celle-ci risque d’être encore plus accablante pour le prochain jeu vidéo Mass Effect et tous les éléments sont placés dans cette bataille qui s’annonce comme le plus gros défi du studio à ce jour.