Retour sur l'animosité entre Katsuhiro Harada de Tekken et Tomonobu Itagaki de Dead or Alive : un affrontement stratégique de dix ans

Titre original : Pendant 10 ans, ce pilier de Tekken a été harcelé par le papa de Dead or Alive. Un combat musclé qui cache un étonnant secret

Alors que nous fêtons les 20 ans de Dead or Alive Ultimate, Katsuhiro Harada, connu pour ses travaux sur Tekken, est revenu sur une affaire qui a passionné la presse au début des années 2000. Celle de l’attitude agressive de Tomonobu Itagaki, le créateur des Dead or Alive, à l’égard du jeu vidéo développé par Namco. Tekken VS Dead or Alive, Namco VS Tecmo, ou l’histoire d’un drôle de combat entre deux créateurs de jeux de baston.

Sommaire

  • “La monnaie de leur pièce avec des missiles nucléaires”
  • La rencontre arrosée
  • Itagaki senpai
  • Harada réduit au silence
  • Les secrets du chef
  • Tout est bien qui finit bien ?

“La monnaie de leur pièce avec des missiles nucléaires”

Au début des années 2000, la presse – papier comme web – se fait l’écho de propos insultants proférés à l’encontre de la saga Tekken. “Cela fait cinq ans que je le dis, (...) arrêtons d'essayer de cacher la nature préhistorique du produit”, “les gens devraient rester à l'écart de Tekken”, parce que Tekken, “ça craint”. Ces déclarations salées proviennent de Tomonobu Itagaki, employé de Tecmo à qui l’on doit la série des Dead or Alive. Ses cinq jeux les plus détestés ? Facile : “Tekken, Tekken 2, Tekken 3, Tekken 4 et Tekken 5”, comme il est possible de le lire dans les lignes du défunt 1up. Que penser des développeurs de Namco ? “Des types assez bizarres”. Que vaut Virtua Fighter 4 ? “Il mérite le respect, mais Dead or Alive 3 reste un jeu meilleur”. Et Tekken 4 ? “C’est un jeu paresseux”. L’homme qui a fait naître Ayane, Kasumi et Hayate prend décidément un malin plaisir à tacler les softs qui sont sur le même ring que les titres qu’il confectionne.

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Vous avez eu des mots très durs envers Tekken (...), considérez-vous qu'il est normal de dénigrer vos concurrents ?”, demande Xbox Nation au réalisateur japonais en 2002. “Laissez-moi vous raconter la vraie histoire”, répond Itagaki. “À l'époque de la sortie du premier Dead or Alive, Namco a diffusé une publicité à la radio qui insultait la série. En tant que père de DOA, je n'oublierai jamais une insulte faite à ma famille. Je leur rendrai la monnaie de leur pièce avec des missiles nucléaires”, menace-t-il, avant de répéter : “je ne l'oublierai jamais”. À l’image de certains de ses guerriers, l’homme fort de Tecmo chercherait donc à se venger. Cependant, plus de 20 ans après ces déclarations enflammées, l’actuel boss de Tekken, Katsuhiro Harada, avance une autre version des faits. De quoi apporter un angle nouveau sur cette animosité qui s’est construite entre lui et Itagaki.

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La rencontre arrosée

Je ne sais pas comment vous percevez ma relation avec monsieur Itagaki, mais je peux vous dire qu'elle est probablement différente de ce que vous imaginez”, promet Harada, en guise de préambule, sur X. Dans un long message posté sur la plateforme, celui qui a pris les rênes de la série Tekken à partir du troisième épisode revient sur une période de sa vie où il a été le sparring partner forcé, ou plutôt le punching ball, du papa de Dead or Alive. Toutes les bonnes histoires commencent par une situation initiale sortant de l’ordinaire. Dans les années 1990, alors qu’elles rentrent d’un salon de jeux, les équipes derrière Tekken, Virtua Fighter et le futur Dead or Alive (à peine annoncé) se retrouvent par hasard dans la même station de métro. L’événement est suffisamment surprenant pour que tout ce petit monde décide d’aller boire un verre, ensemble, dans un izakaya (bar où l'on sert des boissons alcoolisées) à Shinjuku.

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À votre avis, de quoi peuvent bien parler des passionnés de jeux de combat qui se retrouvent autour d’une table, un soir ? De jeux de combat, évidemment ! Pendant que les experts de SEGA et Namco abordent des sujets complexes, notamment les techniques de contrôle d'animation, Tomonobu Itagaki est discret. Celui qui se fera connaître plus tard pour ses petites phrases cinglantes ne perd pas une miette des échanges et écoute religieusement les débats passionnants entre les cadres de Virtua Fighter et de Tekken. La soirée se termine bien, et le groupe prend pour habitude de se revoir de temps à autre pour parler de jeux vidéo. Petit à petit, des liens se tissent. “Un moment reste gravé dans ma mémoire, même 30 ans après”, se souvient Harada. Il continue : “monsieur Itagaki m'a dit : ‘monsieur Harada, vous êtes une personne vraiment accessible et drôle’”. La relation entre les deux hommes semblent donc démarrer sous les meilleurs auspices. “À cette époque, monsieur Itagaki s'adresse à moi en étant poli”, ajoute l’employé de Namco. Cela va vite changer.

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Itagaki senpai

Un jour, Harada et Itagaki se croisent lors d’un événement dédié aux jeux vidéo. Le ton employé par le père de Dead or Alive est plus désinvolte qu’à l’accoutumée. En fait, Itagaki a fait quelques recherches et s’est aperçu qu’ils avaient tous les deux fait l'université de Waseda, et que, en se fiant aux dates, Harada serait son kohai (cadet). “À partir de ce moment-là, il a commencé à m'appeler son cadet et à me parler sur le ton décontracté d'un aîné s'adressant à un cadet, abandonnant toute forme de politesse”. Après le lancement de Dead or Alive, le game designer de Tecmo devient de plus en plus agressif. Ce dernier interpelle directement Harada dans les magazines, et critique la conception des Tekken avec véhémence. “L’équipe du projet Tekken était déconcertée”, reconnaît Harada.

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Lorsqu’en 1998, le téléphone de Namco sonne et qu’à l’autre bout du fil, Itagaki demande à parler à Harada, celui qui s’occupe de Tekken ne sait pas trop quoi penser. Que veut dire l’homme qui passe son temps à l’insulter sans raison ? Voulait-il faire monter la pression et lui proposer un rendez-vous dans un parking pour en découdre définitivement ? La vérité n’est pas si éloignée. “Pourrais-tu venir au siège de Tecmo ? Rien que toi, tout seul”, impose Itagaki à son “cadet”. Malgré ses réticences initiales, Harada accepte. Quand il arrive chez Tecmo, son concurrent le conduit dans une petite salle pour lui montrer une version en développement de Dead or Alive 2. Au bout de quelques secondes de jeu, l’employé de Tecmo demande à l’homme de Namco ce qu’il en pense. Surpris par cette question soudaine, Harada répond que le jeu est agréable à jouer. Il n’en faut pas plus pour que Tomonobu Itagaki jubile : “Tu vois ? Je te l'avais dit, Harada”. “Aujourd’hui, nous avons battu Tekken”, aurait alors dit à ses équipes le boss de la Team Ninja.

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Harada réduit au silence

Dans les magazines spécialisés, le créateur de Dead or Alive prend l’ascendant. Plus il frappe fort sur Tekken, plus on parle de lui. Les jeux de Namco ne sont pas les seuls à subir le courroux du réalisateur. Metal Gear Solid 2 et Final Fantasy X, deux gros jeux du début des années 2000, sont jugés “peu impressionnants” par l’homme de Tecmo qui s’est tourné vers Xbox. “Ce ne sont pas des jeux pour moi. Je n'aime pas les jeux avec une faible interactivité”, dit-il. Cet électron libre qui répond parfois totalement à côté des questions posées détonne dans le monde vidéoludique et fait fureur dans les magazines. Il n’est pas seulement un original qui n’a pas la langue dans sa poche : ses jeux sont unanimement appréciés. Les Dead or Alive plaisant à la critique, tandis que Ninja Gaiden s’impose dans le genre du Beat’em up de façon tonitruante.

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Les dirigeants de Namco, rapidement mis au courant de cette guéguerre menée dans les médias par Itagaki, ordonnent à son employé de ne surtout pas répondre. “Cette dynamique ‘Harada reste silencieux tandis qu’Itagaki attaque’ a duré une dizaine d’années, à peu près de la fin des années 1990 jusqu’à environ 2007”, regrette l’actuel responsable de Tekken.J’ai passé une grande partie de mon temps à me demander : ‘Pourquoi Itagaki est-il si obsédé par l’idée de me prendre pour cible et de m’attaquer ?’, renchérit-il. Quelles sont les raisons de cette haine à l’égard des personnes qui conçoivent Tekken ? Est-ce pour se venger des déclarations blessantes proférées par Namco au moment de la sortie de Dead or Alive, comme l'assurait Itagaki ? Est-ce un complexe de supériorité engendré par l’arrivée d’une nouvelle licence dans le cercle très fermé des jeux de baston à succès ? Est-ce qu’il s’agit de reproches constructifs visant à affirmer une opinion sincère ? Pour Katsuhiro Harada, ce n’est rien du tout ça. Itagaki serait plus calculateur que ses déclarations faussement sanguines laisseraient supposer.

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Les secrets du chef

En 2008, Itagaki quitte Tecmo après avoir livré Ninja Gaiden 2. Harada explique que malgré la relation conflictuelle qu’il a eue avec le désormais ex-boss de la Team Ninja, il a accepté une ultime invitation d'Itagaki. Lors d’un dîner, le papa de DoA vide son sac. “Je n'ai jamais eu de rancune envers vous, Namco ou Tekken. Au contraire, je vous respecte tous. Lorsque j'ai comparé les rapports de force dans le développement, les ventes et l'édition, il est devenu évident qu'une approche directe ne fonctionnerait pas. J'ai dû employer toutes les stratégies possibles. Je suis désolé pour tout”, avoue-t-il, d’après le texte publié par Harada. Itagaki révèle alors tous ses secrets. Comprenant rapidement que Tecmo ne pouvait pas rivaliser avec le niveau de puissance marketing et éditoriale de Namco, il a exploré une stratégie médiatique permettant de faire parler de son jeu gratuitement en égratignant Tekken dans la presse.

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Le créateur de Dead or Alive révèle également à Harada qu’il a analysé tous les profils travaillant sur Tekken. Il a examiné les crédits, puis a établi les parcours scolaires, les historiques des carrières, les compétences ainsi que les jeux conçus par les développeurs répertoriés. “C'est ainsi qu'il a découvert que j'étais son cadet à l'Université de Waseda”, s’amuse Harada. L’ancien patron de la Team Ninja expose le fait que les managers affichés en tête des crédits sont juste des gestionnaires éloignés des travaux pratiques. Tous sauf un : Katsuhiro Harada. “Selon Itagaki, ma présence en tant que jeune chef d’équipe à l’époque ne correspondait pas à ces modèles, ce qui me faisait ressortir comme une figure inhabituelle à surveiller. Il avait raison dans son évaluation”, reconnaît l’employé de Namco. Il ajoute : “Itagaki m'a montré son tableau d'analyse (...), et j'ai été étonné par sa précision”.


Tout est bien qui finit bien ?

Plus calculateur qu'imprévisible, plus stratège que sanguin, Itagaki a analysé en profondeur Tekken, qu’il s’agisse de ses mécaniques ou de sa cible, afin d’établir un positionnement pour ses Dead or Alive en opposition directe au titre de Namco dans le seul but de percer. “J'ai finalement résolu mon conflit de longue date avec monsieur Itagaki”, affirme Harada. “Chaque fin d'année, je reçois un appel téléphonique de sa part, ivre, ce qui est devenu une sorte de tradition”, continue-t-il. Avant de se reprendre : “cela dit, je n'en ai pas reçu ces dernières années, à bien y penser”, semble-t-il regretter. Il faut reconnaître que depuis l’échec commercial de Devil’s Third et la fermeture de Valhalla Game Studios, le créateur japonais de (bientôt) 58 ans se fait discret. L’ancienne coqueluche des médias a cependant rebondi sur le long message de Harada publié sur X : “Voici un tweet de Harada-kun de Bandai Namco. Comme vous le savez tous, il se bat à l'avant-garde du jeu de combat. Je le soutiens de tout cœur”, lit-on sur le profil Facebook d’Itagaki. Peut-être qu’à la fin de cette année, le téléphone de Harada sonnera de nouveau.