En juillet 2024, le Comité International Olympique a confirmé la création de nouveaux Jeux olympiques de l’eSport. La première édition sera organisée en Arabie saoudite en 2025, pays avec lequel le CIO a noué un partenariat pour les 12 prochaines années. Une décision qui confirme la forte présence du pays dans l’industrie du jeu vidéo.
C’est un choix qui n'apparaît plus très surprenant. Après le Coupe du Monde de football de 2034 et les Jeux asiatiques d'hiver de 2029, c’est au tour des premiers Jeux olympiques de l’eSport, en 2025, d’être attribués à l’Arabie saoudite, un pays qui tire sa fortune du pétrole. En 2021, le Royaume décide d'étoffer ses investissements dans le cadre de son plan Saudi Vision 2030. Il commence alors à injecter massivement de l’argent dans le monde lucratif du jeu vidéo.
Les studios de jeu en ligne de mire
Pour s’intégrer au maximum dans cet écosystème, le Prince héritier Mohammed ben Salmane s’intéresse de très près aux studios de développement des jeux vidéo. Le but est d'investir et de détenir le capital de plusieurs grandes firmes du milieu. Pour gérer et étendre tout cet empire, le pays crée le groupe Savvy Gaming Group, une multinationale d’investissement, de développement, d'édition de jeux vidéo et d'eSport. Cette société est détenue par le Public Investment Fund (PIF), c'est-à-dire le fond souverain du Royaume d'Arabie saoudite. C'est le sixième plus grand fonds souverains au monde avec près de 925 milliards de dollars d'actifs.

L’année 2020 marque le début des hostilités. Cette année, Bloomberg révèle l'existence de plusieurs transactions. Le PIF a alors acquis des parts dans trois grandes entreprises américaines du jeu vidéo : Electronic Arts, Take Two et Activision. Le total des investissements atteint les 3 milliards de dollars. Une somme presque anodine pour le royaume saoudien, mais qui n'a clairement pas été lancée au hasard. Take-Two, c'est Rockstar Games, à l’origine de la saga Grand Theft Auto. En misant sur cette société, le royaume saoudien table sur l’avenir et le futur très fructueux de GTA 6, prévu pour fin 2025. Mais le pays souhaite aussi racheter des studios entiers. En novembre 2020, la Fondation MiSK, une organisation à but non lucratif appartenant au prince héritier d'Arabie saoudite, s'est accaparé 33,3% des parts de SNK Corporation, connue pour les sagas King of Fighters ou Metal Slug. Suite à un communiqué de la firme nippone en février 2022, on apprend que la part de la fondation dans le développeur a été portée à 96,18%. C’est officiellement le premier rachat du royaume saoudien dans le monde du jeu vidéo.
Savoir saisir les bonnes occasions
Mais le PIF détient des actions dans une autre firme bien connue des gamers : Nintendo. En 2022, l'Arabie saoudite décide d'investir à hauteur de 5,01 % des actions en circulation de la société. L'année suivante, le pays augmente à trois reprises ses parts dans l'entreprise japonaise allant jusqu'à détenir 8.26% des actions.''' Un chiffre qui le place à la deuxième position des actionnaires, juste derrière Nintendo.

En octobre dernier d'ailleurs, une rumeur affole les fans de la firme nippone. Le PIF voudrait augmenter ses parts jusqu'à 9% chez Nintendo. Mais un jour plus tard, c’est l’inverse qui se passe. L’Arabie saoudite décide de diminuer ses investissements et procède à la vente de 0,72% de ses actions. Selon MGG, le PIF aurait ainsi encaissé environ 100 millions de dollars. Une jolie somme que le pays va pouvoir investir autre part. Sans vendre la totalité de ses parts, Savvy Games Group (gérée par le PIF) semble miser sur la prochaine sortie de la Switch 2. La nouvelle console n’a pas été annoncée mais la cote en bourse de Nintendo pourrait largement augmenter. L’Arabie saoudite pourrait alors réaliser un énième profit grâce à la firme japonaise. En attendant, le Royaume veut conquérir un autre marché relatif au monde du jeu vidéo : l’eSport.
L’eSport comme démonstration
En janvier 2022, Sports Business Journal révèle que le Fonds d'investissement public d'Arabie saoudite a racheté un organisateur de tournoi, l'ESL Gaming, et la plateforme FACEIT pour 1,5 milliard de dollars. La première est une entreprise qui organise et diffuse des compétitions d'eSport dans le monde entier. FACEIT, de son côté, est une plateforme pour jouer à des matchs compétitifs sur certains jeux vidéo. Lors de l'acquisition, les deux entreprises ont fusionné pour former une seule entitée : ESL FACEIT, avec pour ambition de créer la plateforme ultime pour les jeux compétitifs, notamment Counter-Strike ou encore de Dota 2, deux titres très populaires. En février dernier, lors du tournoi IEM Katowice 2024, organisé par ESL FACEIT sur Counter-Strike 2, la finale a réalisé un pic à presque 1 million de viewers à travers toutes les plateformes de diffusion.

Durant tout l’été 2024, Riyad, la capitale de l'Arabie saoudite, a accueilli la première édition de la coupe du monde d’eSport, l’Esport World Cup. Financée par le PIF, elle était composée de 23 événements sur plus de 22 jeux différents. Trente clubs professionnels ont participé pour tenter d'atteindre la plus haute marche du podium. Il s’agit du tournoi avec le plus gros cash prize de l’histoire de l’eSport : plus de 62,2 millions de dollars à travers toutes les disciplines. Cependant, les audiences ne sont pas forcément au rendez-vous. Pour les différents tournois, il est difficile de quantifier le nombre de vues : les matchs étaient diffusés sur plusieurs plateformes comme YouTube, Twitch, DAZN ou même Facebook. Le site ES Charts recense quand même 75.000 spectateurs moyens en cumulé pour le tournoi de Call of Duty : Warzone et 566.000 pour League of Legends. A titre de comparaison, la finale des Worlds 2024 a atteint un record d’audience avec un pic de 6,94 millions de spectateurs simultanés sur les plateformes de streaming.

Pourquoi l’industrie du jeu vidéo ?
La stratégie de Mohammed ben Salmane d'investir dans l’eSport n'est pas très surprenante. Comme le souligne le site Amwaj, la population de l’Arabie saoudite est “l'incarnation même de la génération Z”. Près de 70% des Saoudiens ont moins de 35 ans et près de 7 sur 10 affirment jouer chaque semaine. Cette génération souhaite un mode de vie différent de la génération précédente. Amwaj précise que le prince héritier ne veut pas aller contre cette volonté. Cependant, le pays du Moyen-Orient est suspecté de faire de la politique sur le dos de l’industrie. Le Royaume du Golfe est même accusé de “sport washing”, un procédé qui consiste à utiliser de grands événements sportifs pour montrer une image favorable au monde.

Il faut dire que l’Arabie saoudite est souvent épinglée pour sa vision préoccupante des droits humains, dont la liberté d’expression. Dans son rapport sur le pays en 2023, Amnesty International évoque des problèmes également liés à la peine de mort ainsi que le droit des migrants et des femmes. En guise de protestation, ExOblivione, équipe néerlandaise présente sur Overwatch 2, a refusé de participer à l’Esport World Cup, alors que l’équipe américaine Team Liquid avait porté des maillots arc-en-ciel pour soutenir les droits de la communauté LGBTQ+. Face à ces critiques, Mohammed Ben Salmane a répondu dans une interview accordée à Fox News. “Si le sportswashing augmente mon PIB de 1 %, alors je continuerai à faire du sportswashing”, affirme-t-il. Face à ses nombreuses attaques, l’Arabie saoudite a décidé de frapper un énième grand coup en proposant des partenariats financiers aux différents clubs en échange de promotion sur l’Esport World Cup.