Les Développeurs de Jeux Vidéo Encouragent le Piratage : Une Stratégie Marketing Audacieuse Face aux Revendeurs de Clés

Titre original : Quand les développeurs vous invitent à pirater leurs propres jeux vidéo...

Le piratage semble être parfois un mal nécessaire pour certains développeurs de jeux vidéo qui bousculent les codes en encourageant ouvertement le téléchargement illégal de leurs créations. Une stratégie aussi surprenante qu’efficace pour contrer les pratiques douteuses de l’industrie.

Voici une situation qui peut en surprendre plus d’un, et à juste titre : Certains développeurs de jeux vidéo, loin de combattre le piratage, l'encouragent ouvertement. Ce n'est pas tellement un signe d'abandon face à la pullulation alarmantes des hackers, mais plutôt une stratégie audacieuse née de la frustration face aux pratiques douteuses des revendeurs de clés, du désir d'atteindre les joueurs qui ne peuvent se permettre leurs jeux, d’un besoin revanchard face à des éditeurs négligents, ou même de la surprenante constatation que le piratage, autrefois considéré comme un fléau, peut en réalité devenir un puissant levier marketing.

La guerre contre G2A et compagnie

Vous n’êtes sûrement pas sans savoir que la question des sites de revente de clés comme G2A est devenue un point de discorde majeur pour de nombreux développeurs de jeux indépendants. On parle ici de plateformes qui proposent des clés de jeu à des prix considérablement réduits, mais dont les méthodes utilisées pour obtenir ces clés sont souvent douteuses et peuvent nuire financièrement aux développeurs. Selon Mike Rose de No More Robots (Yes, Your Grace) qui s'exprimait à ce sujet en 2019 dans les colonnes de la BBC, les clés sont parfois acquises à l'aide de cartes de crédit volées. Elles sont ensuite vendues sur G2A, et lorsque le propriétaire initial de la carte annule le paiement, l'éditeur du jeu perd finalement de l'argent. Certains vendeurs profitent également des différences de prix régionales, en achetant des clés dans des pays comme la Chine où elles sont moins chères, puis en les revendant ailleurs. Une pratique qui contourne les restrictions imposées par des plateformes comme Steam et qui, forcément, réduit les revenus que les petits créateurs recevraient normalement. En réponse, les représentant de G2A diront que seulement 1% des transactions du site présentent un quelconque problème et qu'ils commenceront à offrir aux développeurs des remboursements d'un montant 10 fois supérieur à la somme perdue s'ils peuvent prouver que des clés ont été vendues illégalement. Et d’ajouter, en outre, que les studios fournissant des clés à de "faux influenceurs" constituent un problème plus important : "Si le développeur ne les vérifie pas soigneusement, les clés se retrouvent parfois entre les mains d'escrocs."

Quand les développeurs vous invitent à pirater leurs propres jeux vidéo...

Dans un élan de frustration et d’agacement, de nombreux développeurs affirment alors qu'ils préféreraient que les gens piratent leur jeu plutôt que de l'acheter par l'intermédiaire de revendeurs de clés, puisqu’ils ne reçoivent de toute manière aucune des bénéfices. C’est le cas d’Acid Wizard, le studio polonais à l'origine du jeu d'horreur de survie Darkwood, qui a tout bonnement téléchargé son jeu sur The Pirate Bay, en partie par sympathie pour les joueurs qui ne pouvaient pas se le permettre, mais surtout par frustration face aux revendeurs de clés. Ils ont demandé aux joueurs d'envisager d'acheter le jeu par des canaux légitimes s'ils l'aimaient, mais pas par l'intermédiaire de revendeurs de clés, qu'ils ont qualifiés de "cancer qui suce cette industrie". Au moins, c’est dit.

Et ce ne sont pas les seuls. Mikolaj 'Sos' Kaminski, le développeur du point’n click très old-school McPixel, a collaboré avec The Pirate Bay pour promouvoir son jeu après qu'il ait été téléchargé sur le site. Il a déclaré : "Je sais que tout le monde ne peut pas se permettre de se divertir. Mais tout le monde en a besoin". La liste est encore étonnamment longue : Jacob Janerka, le créateur de Paradigm, un jeu d'aventure surréaliste qui se déroule dans l'étrange pays post-apocalyptique d'Europe de l'Est de Krusz, a répondu à une version piratée de son jeu en offrant des clés gratuites dans la section des commentaires. Citons aussi Dennaton Games, le studio à l'origine de Hotline Miami, qui a même fait preuve d’une immense générosité en offrant une assistance technique aux joueurs qui ont téléchargé le jeu depuis The Pirate Bay. Même CD Projekt Red, le studio à l'origine de The Witcher 3 : Wild Hunt, a fourni un correctif de bugs aux joueurs sur The Pirate Bay. Un développeur du studio ayant alors déclaré : "J'espère vraiment que vous apprécierez le jeu, que vous l'achetiez ou non."

Quand les développeurs vous invitent à pirater leurs propres jeux vidéo...

Le "système d'honneur" et la stratégie marketing

Bon nombre de développeurs considèrent le piratage comme une occasion de fonctionner sur un "système d'honneur". Ils estiment, peut-être parfois naïvement, que si les gens aiment leur jeu, ils finiront par soutenir les créateurs en l’achetant pour de vrai. Et parfois, force est de constater que cette approche aussi risquée qu’audacieuse génère effectivement une publicité positive et accroît la notoriété de leurs jeux. Ajoutons à cela que le piratage est ainsi perçu comme une forme de "marketing gratuit" qui peut être efficace pour les petits studios indépendants qui peuvent ne pas disposer de budgets marketing importants. Sean Han Tani et Joni Kittaka, les créateurs d’un petit Zelda-like baptisé Anodyne, ont promu leur jeu sur The Pirate Bay. Résultat des courses : Il est parvenu à générer 12 000 dollars de ventes en 72 heures. Ils ont déclaré que "le piratage est inévitable, il vaut donc mieux l'embrasser". Et étrangement, la technique les a surtout aidés à sortir de l’ombre une petite production sans prétention, qui aurait sûrement eu bien du mal à fonctionner sans un coup de main du genre. Malin.

Quand les développeurs vous invitent à pirater leurs propres jeux vidéo...

Dans le même esprit, le créateur indé Ariel Jurkowki a annoncé une version torrent du puzzle-game Please Fix the Road en même temps que les versions légales du jeu. La version piratée comprenait un fichier readme demandant aux joueurs d'envisager d'acheter le jeu, et une icône de pirate qui, lorsqu'elle était cliquée, renvoyait aux pages d'achat du jeu. Histoire similaire chez les développeurs de Slay the Princess qui ont publié ces gentils mots sur leur page X : “Beaucoup de nouveaux joueurs découvrent Slay the Princess. Vous ne pouvez jouer qu'une seule fois pour la première fois, et l'expérience ne sera pas la même si vous regardez à travers les choix de quelqu'un d'autre”, indique l’équipe sur leur compte officiel X. Une initiative massivement saluée par les internautes à l’époque : “Soutenir le piratage comme moyen de tester le jeu et d'en profiter quand on ne peut pas se l'offrir, rien que pour cette position, vous méritez tout le succès pour la suite” confie un premier joueur en réponse à l'annonce. "Honnêtement ? Dire aux gens de pirater le jeu m'a donné encore plus envie de l'acheter", dit un autre.

Quand les développeurs vous invitent à pirater leurs propres jeux vidéo...

Quand l’heure est au retour de karma

Il arrive aussi que les développeurs invitent les communautés à pirater leurs jeux par excès de rage contre leur boîte, ou pour leur flanquer un joli retour de karma dans le visage. Rappelez-vous, au mois de mai dernier, dans un climat de licenciements déjà terrible, Take-Two Interactive a fermé Roll7 et Intercept Games, congédiant tous les employés qui ont travaillé sur l’excellent jeu Rollerdrome (dont vous pouvez consulter le test sur JV), et ce, malgré le fait que le studio avait auparavant développé des jeux bien accueillis comme OlliOlli World qui était considéré comme un succès. Une situation d’autant plus frustrante par le fait que le PDG de Take-Two Interactive, Strauss Zelnick, aurait augmenté son salaire de 26 millions de dollars avant les fermetures de studio. Alors, à l'occasion du deuxième anniversaire de Rollerdrome, Anisa Sanusi, la conceptrice de l’interface utilisateur, a publiquement encouragé les fans à pirater le titre, affirmant que de toute manière, aucun des développeurs originaux ne travaillait plus chez la société et qu’ils ne toucheraient donc pas un centime sur le jeu.