L'impact de l'IA sur l'industrie du jeu vidéo : opportunités pour les développeurs indépendants et défis éthiques pour les gros studios.

Titre original : Une malédiction pour certains, une bénédiction pour d’autres, comment l’IA aide les développeurs indés à créer des jeux ?

L’intelligence artificielle a investi presque tous les domaines de production culturelle : cinéma, musique et maintenant jeux vidéo. Si elle est souvent mal vue lorsqu’elle est utilisée par les gros studios, elle permet aussi aux développeurs indés de mener à bien leur projet.

Les gros studios disent Oui à l’IA

Depuis 2023, l’industrie du jeu vidéo est marquée par d’importantes vagues de licenciements. Selon Games Industry Layoffs, 2024 présente une triste statistique : presque 15 000 développeurs y ont perdu leur poste. Une hausse qui s'explique notamment par le recours à l’IA générative chez les gros studios, tels qu’Activision-Blizzard (The Wired). Des outils tels que ChatGPT ou Midjourney permettent de faciliter et d'accélérer la production d’un jeu. On peut, par exemple, créer des scénarios et les illustrer, façonner des personnages ou encore, créer une identité visuelle propre. Tant d’avantages qui séduisent les studios, mais également les développeurs indépendants, qui ont de fait moins de ressources.

L’IA est déjà là

Parmi ces créateurs, il y a par exemple Jabrils, qui est à l’origine d’un jeu de combat mobile. "Faites le calcul : combien ça coûte d’embaucher une IA ? Combien ça coûte d’embaucher une équipe entière de développeurs ?", explique-t-il dans interview sur YouTube. "C’est une question économique, on ne peut blâmer personne pour ça".

Pour ses projets, Jabrils utilise également l’IA “pour tout”, que ce soit pour faire un script, pour un conseil sur une vidéo ou sur une partie de son jeu. D’après Jonathan Blow, sommité dans le milieu indépendant et papa de Braid et de The Witness, l’IA est parfois “la seule option” lorsque le budget est très faible. “Ce genre d’outils permet de se mettre rapidement à l’ouvrage sans investir beaucoup de temps ni de ressources", affirme-t-il sur YouTube. Selon lui, l’IA générative va devenir de plus en plus facile à utiliser et présente dans notre quotidien. Après tout, elle a déjà le droit à sa place sur des logiciels de création de jeu tels qu’Unity (pour générer des textures, des sprites par exemple).

L'interface pour générer des textures via l'IA, sur Unity

Une malédiction pour certains, une bénédiction pour d’autres, comment l’IA aide les développeurs indés à créer des jeux ?

Les créateurs en herbe s’étonnent d’ailleurs parfois de tout ce que peut faire l’IA : “j’ai été surpris de me rendre compte à quel point je fais des progrès plus rapidement que sans l’utiliser”, témoigne cet utilisateur de Reddit. Un autre créateur de jeu vidéo indé explique : 

Chat GPT est une bénédiction. Je ne suis pas codeur. Je suis plutôt bon pour lire et modifier du code déjà existant, mais je suis nul pour en écrire. Envoyer des prompts à Chat GPT me donne tout juste assez d’infos pour commencer. Cela ne remplace pas un développeur, mais ça s'assimile à un collègue un peu mal informé avec lequel échanger des idées.


Le paradoxe du robot

Paradoxalement, l’intégration de l’intelligence artificielle dans un jeu contribue à rendre celui-ci plus vivant et immersif pour le joueur. Des jeux (comme Auravale) et mods offrent par exemple la possibilité d’interagir autrement avec les PNJs, plus précisémment de discuter de tout et de n'importe quoi. Cela peut même donner des situations cocasses, comme dans le mode GPT de Skyrim où vous pouvez faire prendre conscience aux personnages qu’ils ne sont que de pauvres figurants dans un jeu vidéo. Par exemple, dans Vaudeville, un jeu d'enquête, il faut trouver les bons mots pour arriver à interagir correctement avec un robot et lui soutirer les informations cruciales pour résoudre un mystère.

En fait, l'IA ouvre le champ des possibles en matière de jeu vidéo, laissant libre le joueur de façonner l’expérience qu’il souhaite. C’est sur cette logique que se basent les projets du studio Hidden Doors : des expériences vidéoludiques qui racontent de petites histoires sous forme de conversations. Le joueur choisit d’abord le genre, le nom, l’apparence, la profession et les compétences pour enrichir le profil de son personnage. Et à chaque événement qui se déroule, l’utilisateur intervient via des prompts pour lancer des actions et changer ainsi le cours du récit. Le studio dispose d’ailleurs de son propre modèle de génération intelligent spécialisé, qu’il nomme le “moteur à histoires”. Fractal Labs, le studio qui a fait Wizard Cat, est allé plus loin encore. Ce rogue-lite avec des chats permet au joueur de créer des attaques à partir de prompts.


Pas touche à l’art !

Un point commun entre tous ces projets de jeux IA : leurs créateurs se revendiquent souvent contre l’intégration d’images générées par intelligence artificielle. En effet, les banques de données de ces outils, qui servent de base pour générer une photo, ont souvent été récupérées sans autorisation. “Quand vous construisez un système d’IA, c’est vraiment important de le faire de manière éthique", explique Hilary Manson, cofondatrice de Hidden Doors dans une vidéo YouTube. "Ça signifie informer sur les sources de nos données”.

Les modèles d’IA venaient juste de sortir, ils étaient imparfaits et donnaient des rendus surréalistes (...) J’étais fasciné par ce qu’ils pouvaient faire (...) J’ai décidé d’utiliser cet art parce que je trouvais que ça correspondait au ton irréel de mes titres. - Créateur de Time is Solid Here.

C’est dans cet extrait de post sur Itch.io que le développeur de Time is Solid Here, un jeu d’horreur psychologique sorti en 2021, explique pourquoi il a eu recours à l’IA générative pour créer quelques visuels, dont celui des personnages. Le créateur indé a songé à supprimer le jeu, reconnaissant les problèmes éthiques de l’utilisation de l’IA pour ce genre de choses, mais ça aurait été une manière "d’effacer ses propres erreurs.” La question de l’éthique est centrale dans l’usage de l’IA puisqu'elle sous-entend la question de la propriété intellectuelle. Google a révélé avoir fourni '''30 000 heures''' de vidéo de joueurs en partie pour alimenter ses inventions, notamment GENIE, une IA qui génère des mondes jouables. Des outils gratuits tels que Blackbox.ai permettent aussi de créer un jeu sans devoir coder à partir d’une capture d’écran de jeu ou d’un prompt textuel.