Comme le cinéma, le jeu vidéo aime revisiter ses œuvres les plus illustres. C’est ce qu’on appelle des remakes, et si on peut croire que c’est un exercice facile, car tous les ingrédients sont déjà là, c’est en réalité un gros numéro d’équilibriste. Parlons de certains cas récents pour y voir plus clair.
Cet article dévoile des informations majeures sur la conclusion de Final Fantasy 7 Rebirth.
Mes premières minutes sur Silent Hill 2 “2024” ne m’ont pas mis les poils. Je trouvais le remake trop rigide, imprécis techniquement. J’imaginais déjà une version réalisée par un studio comme Naughty Dog (The Last of Us Part 2), capable de délivrer une meilleure production value. Puis j’ai continué, et le jeu de la Bloober Team m’a complètement aspiré, peut-être encore plus que le titre d’origine (j’en ai une peur bleue à cause des caméras fixes). Les animations, la technique du remake sont devenues pour moi un parfait compromis pour retranscrire l’ambiance cracra de 2001, un point qui inquiétait d’ailleurs beaucoup les fans.
D’un extrême à l’autre
“(Restituer l’étrangeté due aux limitations techniques de l’époque), c'était un gros défi dès le début”, affirme ainsi Maciej Głomb, lead producer de Silent Hill 2 Remake, chez Gamekult. “Changer ça en 4K avec une caméra à la troisième personne, dans une expérience où le joueur peut faire ce qu'il veut, c'était un défi parce qu'on sait que les meilleurs ressorts de l’horreur se créent dans la tête, avec des choses qu'on ne voit pas autour de nous”. Ici, la peur du hors-champ ne dépend plus des caméras fixes mais des monstres eux-mêmes, comme ces satanés mannequins qui, agiles et fins comme pas deux, se cachent souvent sur le côté d’un meuble. Le travail sur le son apporte aussi beaucoup. En marge de la célèbre radio, qui annonce toujours la présence d’une créature proche, la Bloober Team vous fera par exemple miroiter l’arrivée d’un danger alors qu’il n’y a, en vérité, rien à craindre.
Silent Hill 2 (2024)


Le cas de Silent Hill rappelle celui de Resident Evil 2 Remake : un autre jeu d’horreur culte, usant lui aussi de caméras fixes à l’époque. En 2019, Capcom nous offrait ainsi une très bonne remise au goût du jour en caméra épaule du classique de 98, dont les modifications sont comparables à celles de la Bloober Team (lieux inédits, zones agencées différemment, nouveautés en matière d’écriture).
Mais pour le remake de Resident Evil 3, sorti un an plus tard, c’est une autre affaire : le titre a reçu un accueil plus contrasté, notamment parce qu’il coupe des pans entiers de l’aventure de base et qu’il fait du Nemesis une menace cousue de fil blanc. Mais le vidéaste Toujours Thomas, auteur d’une très belle rétrospective sur le survial horror de Capcom, y voit une volonté de moderniser encore davantage un classique des années 90 après le fidèle Resident Evil 2 Remake. “RE3 reprend dans les grandes lignes les éléments qui constituent le jeu d’origine, ses personnages, ses décors et son scénario, et les réarrange pour donner un jeu moderne, linéaire, scripté”, explique-t-il. “En termes de remake, c’est effectivement décevant, mais en termes de réinterprétation, ça raconte des choses fascinantes”. RE3 2021 est un titre court (7h de durée de vie), mais profite d’un rythme très soutenu.
Resident Evil 3 (2020)

Sur le fil
Dans le monde des remakes, Resident Evil 3 s’apparente à une anomalie. Il est sorti un an plus tard que Resident Evil 2 et a bénéficié d’un développement plus court que ce dernier, sans doute dans l’espoir de surfer sur une forme de succès, alors que ce genre de projet demande généralement un temps de gestation plus long (RE4 Remake ne sortira que trois ans plus tard). Mais sa manière de s’approprier le matériau de base est intéressante : c’est une vision assez “extrême” du remake. Et si l’on devait tracer une ligne et classer ces rééditions, de la plus consensuelle à la plus radicale, on trouverait Resident Evil 3 tout à droite et les refontes “100% graphiques” tout à gauche. Au milieu, se baladent Resident Evil 2, Resident Evil 4 et désormais Silent Hill 2, trois jeux considérés comme d’excellentes remises au goût du jour, qui apportent de la modernité ainsi que de la nouveauté, certes, mais sans jamais trop se mouiller. Aucun d’entre-eux ne s’aventure à changer un moment important du récit original ou à vraiment sortir des sentiers battus. Et ce n'est pas un reproche : c'est généralement ce que les joueurs attendent. Après tout, dans les meilleurs remakes, on cite régulièrement Shadow of the Colossus et Demon’s Souls, deux de ces relectures exclusivement visuelles (il peut aussi y avoir des ratés en la matière, comme le Secret of Mana de 2018, dont la 3D et la direction artistique "chibi" efface la magie du pixel art de 93).
Shadow of the Colossus (2018) et Demon's Souls (2020)


Parce que le but d’un remake n’est pas de “changer pour changer”. C’est une entreprise avant tout profondément nostalgique. Les développeurs passent un contrat tacite avec les fans de la première heure : remettre à neuf un jeu que le public a tant aimé, renouer avec des personnages, une ambiance. Le moindre ajout ou modification doit s’inscrire dans un cahier des charges très précis. S’en écarter, c’est prendre le risque de se mettre les joueurs à dos. On a bien vu la levée de boucliers provoquée par la fameuse “bande-annonce de combat” de Silent Hill 2, publiée en janvier 2024. Le seul titre de cette vidéo a donné des sueurs froides à certains. Les phases d’action font en effet partie des plus gros changements du remake, mais leur dédier une vidéo, c’était comme trahir le jeu de base, avant tout connu pour son ambiance, son propos.
Le cas de Final Fantasy 7
C’est là que le cas de Final Fantasy 7 Rebirth est intéressant. La conclusion de ce remake, seconde partie d’une ambitieuse trilogie, n’a pas fait l’unanimité auprès des fans. Beaucoup la jugent trop compliquée. En gros, il y a des multivers et Aerith n’est peut-être pas morte (alors que sa disparition constitue l’un des moments les plus marquants du titre de 97). “Il y avait clairement un danger, un piège ici” reconnaît chez Eurogamer Naoki Hamaguchi, director de Rebirth, à propos du destin de l’héroïne dans le remake. “À l’époque du titre original, je n'étais qu'un fan. J'y ai joué quand j'étais plus jeune et j'ai un point de vue de fan sur cette scène (la mort d’Aerith, ndlr). J'ai eu le sentiment que si je prenais une décision - il faut que ça aille dans telle direction, il faut que ça se passe de telle manière - cela en ferait une affaire de fan (...) C'est ce que je voulais éviter”.
Final Fantasy 7 Rebirth (2024)



Hamaguchi se félicite d’avoir finalement accompli la vision de Yoshinori Kitase, producteur du projet. “Il voulait vraiment créer ce genre de débat et de spéculation après le jeu (Rebirth, ndlr) et jusqu'au troisième épisode, pour que les gens continuent d'en parler jusqu'à la conclusion finale“, explique le director. “En ce sens, nous avons probablement atteint exactement ce qu'il voulait faire et j'en suis très satisfait, car les gens en parlent encore” (l’interview date de novembre dernier). Il poursuit : “L'important, c'est que les joueurs se demandent si les choses vont changer ou non. Si tout était exactement comme dans l'histoire de base, vous sauriez exactement ce qui vous attend : il n'y aurait pas d'attente ou d'excitation (...) Ce serait peut-être nostalgique, mais ce ne serait pas amusant”.